Dîner dans la Cuisine de Joël Robuchon, comme si vous y étiez

Imaginez...

Vous marchez dans les rues de Londres, et la nuit tombe. A deux pas du centre trépidant et  de la foule qui se presse aux entrées des théâtres s'ouvre soudain une petite rue tranquille, silencieuse. Vous avez lu tous les romans de Conan Doyle, et quelques-uns d'Agatha Christie et vous vous attendez à de l'inattendu.

Vous frissonnez sous l'humidité de l'air et vous arrivez devant une maison éclairée, alors que tout le reste est sombre. Étrange. Il y a là quelqu'un que vous ne connaissez pas, qui vous ouvre la porte avec un sourire, comme si vous étiez espéré. A l'intérieur, il fait chaud , vous entendez de la musique et vous oubliez le gris brumeux de la rue, la foule et les lumières vives de la place. On vous prend votre manteau et on vous emmène à l'étage de la maison.

Tout est feutré. La lumière est douce. Vous regardez les niches lumineuses des murs vous montrer des fleurs inconnues dans des vases aux formes rondes. On vous assoit dans des fauteuils si profonds que vous avez peur de vous y perdre. On vous apporte un grimoire de plusieurs pages que vous devez lire à la lueur tremblotante des bougies. Vous devez y désigner une ligne sur une liste de noms de fruits, de liqueurs ou d'herbes que vous ne connaissez pas.

Et puis on vous apporte dans des verres irisés et givrés un breuvage aux couleurs chatoyantes et au goût délicieusement  frais et fruité, qui ne tarde pas à vous faire briller les yeux. Vous restez là un moment, à oublier la vie qui passe... Les rues pleines de monde, le froid de l'hiver et les romans d'Arthur Conan Doyle ne sont plus que de vagues et lointains souvenirs.

Vous devez quand même vous lever pour aller à votre table, on vous dit qu'elle est à l'étage en dessous. Une demoiselle, peut-être une fée, vous accompagne en souriant. Vous allez dîner dans la cuisine. De votre table, vous apercevrez le travail des cuisiniers. Vous qui aimez tant concocter des petits plats, vous trouvez cela vraiment  magique.

On vient avec beaucoup de gentillesse vous installer à votre place.
Un maître d'hôtel attentionné , prénommé Jérôme, vous raconte les plats de la carte avec finesse et esprit. Il existe des maîtres d'hôtel dont on se souvient, pour leur prévenance, leur aptitude à vous mettre à l'aise, et aussi leur sens de l'humour. Celui-là en fait partie.

Imaginez encore...

On vous sert du champagne, on vous apporte la carta di musica, c'est une galette de blé très fine et d'une croustillante légèreté, originaire de Sardaigne. Elle est escortée d'une huile d'olive au fruité intense et d'un beurre salé et fermier breton qui vous fera douter d'avoir déjà mangé du beurre auparavant. Vous pensez que cette chose toute simple est le summum de la délicatesse et de la sophistication, et que c'est bien meilleur que tous ces amuse bouches clinquants, que l'on vous sert souvent dans les restaurants, qui vous alourdissent le palais et qui vous rassasient déjà avant d'avoir commencé le repas.

Et les choses suivent leur cours, avec une émotion à chaque plat... Vous admirez le brio du sommelier hongrois qui vient vous raconter en anglais toute la vie du vin qu'il vous sert. Et la demoiselle qui ne laisse jamais votre verre d'eau descendre à moins de la moitié, vous vous dites qu'elle doit avoir le don de double vue.

Savoir si le verre est à moitié plein ou à moitié vide, ce n'est même plus le problème...

Une émotion,  l'écrevisse en marinière au vin d'Arbois, les petits légumes croquants, la sauce crémeuse et mousseuse...

Une émotion, la ventrèche de thon, à peine cuite, ses aromates du Midi, les tout petits câpres au goût très doux, les olives, les zestes de citron confits, les petits poireaux si verts, si tendres et ces étonnants pétales de dentelle d'oignon, croustillants...

une émotion, la côte de veau de lait dorée, cuite avec attention et amour, qui se révèle fondante et rosée à cœur, laquée de citron en marmelade, accompagnée de gousses d'ail en chemise et d'olives, escortée des rattes rôties aux épices.

Une émotion encore, la caille farcie au foie gras, toute fondante et parfumée, cuite à basse température et caramélisée à la sauce soja, accompagnée de la célébrissime purée de Robuchon, dans une version à la truffe, ce qui ne gâte rien...

Les desserts conclurent ce feu d'artifice en un flamboyant bouquet final. Une apothéose. Des saveurs, des arômes et des présentations époustouflantes.

Imaginez toujours...

Au centre de l'assiette, une tour composée de meringue croquante et sucrée et de sorbet au citron acidulé. Et autour, une sauce crémeuse à l'avocat et à la banane.

 Une sphère de chocolat blanc que le maître d'hôtel vient arroser d'un chocolat chaud. Ôôôôôôôô... la sphère fond et laisse apparaître l'intérieur, rempli d'une glace au baileys, une crème légère au thé et un brownie, rien que cela !

Une autre sphère, mais de sucre tout scintillant comme une boule de cristal. Elle est si fine et fragile que le moindre choc de cuillère la brise, pour y savourer la mousse au café vert, aérienne, la sauce au caramel, onctueuse, et les boules de pomme parfumées au yuzu qui vous titillent les papilles dans toute cette douceur.

Vous récapitulez mentalement que vous avez dégusté dix plats, dont cinq desserts. On vous a traité comme si vous étiez de la famille royale d'Angleterre.

D'autres délices sont en photo  ici.

 La soirée s'avance et le temps a passé, sans que vous ne vous en rendiez compte, c'était une parenthèse hors du temps, vous aviez laissé tous vos soucis à la porte. Vous êtes bien, il vous semble que plus rien ne peut vous atteindre.

Il faut quand même se lever, reprendre votre manteau et sortir dans la nuit , monter dans le bus pour rentrer à votre home. Vous avez la tête et le cœur remplis d'images, de saveurs, de couleurs, et des souvenirs pour longtemps. Vous êtes remplis de gratitude pour cette équipe de jeunes cuisiniers et pâtissiers qui a réalisé tous ces délices. Elle est dirigée par Frédéric Simonin, qui avait obtenu deux étoiles lorsqu'il était le chef du restaurant de Paris. A Londres, il en a gagné une à peine quatre mois après l'ouverture. Cela ne vous choquerait pas du tout, si la deuxième suivait aussi vite.

Vous êtes réconciliés avec le monde.

Vous arrivez à l'arrêt de bus, et soudain vous voyez ça:

Alors vous pensez que Londres est une ville bien singulière.

Oui, bien singulière.

L'ATELIER de Joël Robuchon
13-15 West Street
London WC2H-9NE
tel+44(0)20 7010 8600

Comments

[fabien]

Merci pour cet excellent repas je suis venu fin aout c'etait parfait!!!

[AC]

j'ai tous ses livres de cuisine.Je pense avoir fait à ce jour à peu près 80% de ses recettes.

Son gratin dauphinois est extraordinaire quant à ses desserts fabuleux!! Je connais bien son restaurant de Paris.

[Sophie]

For-mi-da-ble !
Un reportage de folie sur un restaurant de folie, du grand boulot, comme d'habitude :)

Prochain reportage caméra embarquée prévu?

[Marie-Claire]

Oui, j'ai beaucoup aimé Londres, l'ambiance de cette ville, où j'étais déjà allée il y a très longtemps. et je pense que j'y retournerai.
Je voulais montrer comment la cuisine peut être élevée en oeuvre d'art.
Une oeuvre d'art crée une émotion: c'était le cas ici.

Merci à tous de votre passage.

[fredo]

de passage grâce a mélusine ,tes recettes ont l'air très appétissante ,je reviendrait
a plus
fredo