Amandine de mirabelle au thym frais, ou l'aventure du dernier bocal
Ce n'est pas vraiment un flan, ni un clafoutis, ni une crème.
C'est les trois à la fois: une gourmandise aux amandes, lactée, fruitée, avec un petit quelque chose en plus : le thym frais, dont le parfum un peu boisé se marie très bien avec la douceur miellée et presque florale des mirabelles.
Il y a dans ce dessert le souvenir de l'été passé et le goût de celui qui ne vient pas encore : une espérance, un bonheur par anticipation. Il y a le petit pincement au cœur, lorsqu'on s'en va chercher le dernier bocal de la réserve. Celui qu'on savoure tout particulièrement parce que c'est le dernier. On regarde sa belle couleur d'ambre. On passe la main sur les étagères, on soupire à toutes les places vacantes qui se rempliront dans quelques mois, si... Si les fleurs en bouton ne gèlent pas, si le soleil le veut bien, si la gourmandise des oiseaux nous laisse quelques fruits, à nous pauvres humains ... Et c'est le rythme des saisons, le grand cercle du monde qui se perpétue dans le vertige de ces simples étagères dégarnies.
Pour un dessert de 8 personnes :
1 bocal de mirabelles au sirop
25 centilitres de crème liquide
25 centilitres de lait entier
1 joli brin de thym frais
100 grammes de poudre d'amandes
100 grammes de sucre
25 grammes de maïzena
3 œufs
Du beurre bien mou pour le moule.
La première chose que je fais, c'est aller chercher dans le placard de la buanderie un bocal de mirabelles du jardin. Les mirabelles cueillies bien mûres l'année dernière et mises en bocal aussitôt. C'est du soleil en verre. Des billes d'or et de miel. L'été en réserve.
Je me souviens. La chaleur du jour. Les ombre dansantes des feuilles. Le jeu du soleil. Le ballet des hirondelles très haut dans le ciel. Celui des abeilles bruissantes sur les fleurs du jardin. Les fruits d'ambre tombés en abondance sur l'herbe. Vite, il faut les ramasser en prenant garde aux guêpes qui, elles, préfèrent les fruits aux fleurs. Les mirabelles sont gorgées de sucre. Le panier est posé à côté de la chaise longue. Langueur. Chaleur. Gourmandise. Une pour toi, une pour moi. Une pour le panier. L'odeur des fruits chauffés par le soleil rappelle déjà celle de la confiture. La douceur des jours de l'été qui se termine ...
Le plus difficile : ouvrir le bocal.
J'ouvre le bocal. Plop.
Si vous voulez tout savoir, j'ai eu un mal fou à l'ouvrir. Il ne voulait pas se faire déguster, ce bocal. Il devait être bien dans son placard sombre. Il a cru que je l'avais oublié, c'était le tout dernier bocal. Il savourait déjà sa victoire, en compagnie des ultimes confitures de mûres, de coing, et de trois verrines de pâté.
Normalement il suffit de tirer sur la languette de caoutchouc pour faire entrer de l'air à l'intérieur, mais là le vide est tellement fort qu'il ne veut rien savoir. Caoutchouc de malheur ! Je vais chercher une pince dans la boîte à outil, je tire comme un chien à qui l'on veut piquer son os. Même pas bougé d'un millimètre. Le caoutchouc rigole, avec la marque de la pince en demi cercle. Bon, c'est que j'ai l'air bête, moi, maintenant, avec ma recette de mirabelles, mes souvenirs d'été, le sourire narquois de ce caoutchouc et mon bocal récalcitrant.
C'est malin.
Qu'est-ce qu'ils vont penser, les lecteurs de mon blogue ?
Après plusieurs minutes, je finis enfin par l'avoir, par la ruse, gniark gniark, avec la pointe d'un décapsuleur glissée insidieusement entre le verre et le caoutchouc. Ouf. Ce n'est pas un bocal en verre qui va m'empêcher de me régaler, non mais !
Une fois cet exploit réalisé, je verse les mirabelles dans une passoire, car elles doivent être très soigneusement égouttées. Regardez comme elles sont belles. Et elles sentent bon le fruit mûr. Dommage, vous ne sentez rien à travers l'écran.
Ne nous laissons pas distraire. Il faut s'occuper du thym.
Je verse le lait et la crème dans une casserole, et j'y ajoute le brin de thym que j'ai cueilli dans le jardin, juste avant. Je porte à ébullition, en surveillant bien ... Vous connaissez sans doute l'épisode follement drôle du lait qui déborde à la seconde même où on avait détourné le regard ... Il a le chic pour s'échapper de la casserole en une micro seconde et on n'a plus que ses yeux pour pleurer et son éponge pour tout ramasser... Pour peu que cela n'ait pas coulé dans le brûleur du gaz ... Hein, vous connaissez ? Eh bien non, après le bocal indocile, je ne laisserai pas le lait se rebeller ! Il ne manquerait plus que ça: les ingrédients qui se révoltent dans ma cuisine !
Donc je surveille et j'éteins le feu dès le premier bouillonnement. Ouf. Opération réussie. Pas une goutte n'a débordé. Je laisse infuser le thym quelques minutes.
Et préparer le moule.
Pendant ce temps, là, j'allume le four à 180°C. Je prépare mon moule : un plat en porcelaine de 24 cm de diamètre. Je le beurre généreusement, et j'y saupoudre un peu de sucre pris sur les cent grammes. J'incline mon moule en tous sens pour bien répartir le sucre sur le fond et les bords. S'il y a du sucre en excédent, je le récupère dans une jatte. Je mets le moule de côté.
Ensuite, il faut faire la crème.
Je verse tout le sucre dans la jatte et j'y casse les trois œufs. Je mélange bien, puis j'ajoute la maïzena mêlée à la poudre d'amandes. Ainsi cela ne fait pas de grumeaux. Je verse le mélange de lait et de crème, en battant bien.
Je récupère le thym et je l'effeuille. Il faut surtout retirer les plus grosses tiges. Ce serait désagréable de les retrouver sous la dent lors de la dégustation.
Quand les mirabelles sont bien égouttées, je les dispose dans le moule.
Je préfère ne pas les dénoyauter, parce qu'ainsi elles auront une meilleure tenue.
Je remplis le moule avec la préparation. Je n'ai pas oublié de répartir le thym en brindilles, ça et là sur toute la surface.
Maintenant il ne reste plus que la cuisson
Je glisse mon plat dans le four, j'ai placé la grille au milieu. La cuisson dure de 25 à 30 minutes. Il faut que la surface soit dorée, et ferme sous le doigt. Chez vous, c'est vous qui voyez, car tous les fours sont différents.
l'Amandine se découpe facilement, elle n'attache absolument pas au moule. On peut sans problème faire des parts bien nettes et les déposer sur l'assiette de service sans faire de catastrophe durant le transport. On la sert à température ambiante. Et on prévient les convives qu'on a laissé les noyaux dans les mirabelles !