(Aujourd'hui, ce n'est pas moi, Marie-Claire, qui a écrit cet article. Je laisse la place à Pierre, il va nous concocter quelques billets gastronomico-humoristico-anthropologiques de derrière les fagots. Son sujet de prédilection: les restaurants. Ça va pas être triste.)
La proportionnalité est un principe mathématique qui dit que deux
grandeurs sont proportionnelles quand on peut passer de l'une à l'autre
en multipliant ou en divisant par une constante appelée coefficient de
proportionnalité. Aie, ça commence mal, vous me direz, le voilà qui dès le
début, dès sa première chronique, sans prévenir, nous assomme avec des mathématiques, alors que
nous, on déteste les mathématiques. Ce qu’on aime c’est la cuisine.
Un peu de patience, vous allez voir.
Vers la fin de mes études secondaires, mon prof de physique avait
étiré sur deux longs cours, une tentative d’explication aux benêts
boutonneux que nous étions (par définition), le principe de
proportionnalité, pourtant vieux comme le monde.
De manière
extrêmement laborieuse, il était parti dans des démonstrations
dramatiquement compliquées. Il se retournait de temps à autre pour nous
lancer un « vous comprenez ? » accompagné d’un sourire sardonique ; ce
qui en disait long sur ses tendances psychopathiques à dominante
schizophrène. Tableau pathologique d’ailleurs confirmé par ses
comportements évoluant en cours d’année, notamment par sa propension
à piquer ses élèves dans le dos avec un compas. A l’époque, personne ne
portait plainte contre ce genre d’agissements. Les parents haussaient
les épaules en rigolant. Aujourd’hui, il passerait aux Assises. O
tempora, o mores.
Bref, le vieil homme, avec la mine interrogative
de l’explorateur devant sa population primitive, nous lança : « vous
pas comprendre » !
« Mais si c’est simple, lui répondis-je, c’est comme pour les
recettes de cuisine. Quand on a une recette pour huit, et qu’on veut
faire pour quatre, on applique un coefficient de proportionnalité de 2
(on divise toutes les valeurs d’ingrédients par 2) ».
Sidéré,
abattu, il nous gratifia de près d’une minute de silence. Ne comprenant
pas qu’on puisse apporter une illustration aussi basse à son cours
digne de l’Académie des Sciences, il m’ignora tout le reste de l’année.
Ce fut reposant.
Vous vous demandez pourquoi je vous raconte tout cela ?
C’est
qu’au fil de mes nombreuses pérégrinations gastronomiques, en bon
scientifique, j’observe. Ben oui, le scientifique observe. La vache
rumine, le coq chante (à 4 heures du matin), la Star Ac braille et le
scientifique observe. Tout ça pour en tirer des lois qui vont en définitive changer le monde.
Par exemple, vous aimez la viande. Vous en commandez souvent au restaurant. Et au fur et à mesure, vous vous apercevez d’un phénomène remarquable : quand vous commandez une viande, on vous change souvent votre couteau. Celui qui était là, posé avant votre arrivée devait être inadéquat.
Vous pouvez alors vous dire légitimement que si l’outillage est changé, c’est pour que l’association couteau-viande se passe au mieux, que malgré toutes les imperfections carnées qui pullulent dans nos restaurants, le combat sera au final à votre avantage.
Que nenni ! L’observateur scrupuleux que je suis a fait la constatation suivante, incontestable : la qualité du couteau est directement proportionnelle à la qualité de la viande servie. En d’autres termes, meilleure sera la qualité du couteau, meilleure sera la qualité de la viande. Alors que ça devrait être le contraire. C’est vrai, dans un monde normal, on devrait vous donner un très bon couteau quand on vous sert une très mauvaise viande, non ? Autrement dit, la qualité du couteau devrait être inversement proportionnelle à la qualité de la viande.
Viande dure = couteau coupant
Viande bien rassise = couteau émoussé.
Ben non, c’est le contraire ! Vous êtes surpris ? Ce n’est pas un hasard d’une fois ou deux, c’est une loi invariable qui ne connaît même pas d’exception !
Ça c'est de l'entrecôte ! Il faudra quelle sorte de couteau ?
Donc à partir de maintenant faites attention : si le service vous
apporte un morceau de métal incertain et usé, sur lequel vous avez
quelque mal à distinguer le dos de la lame de sa partie coupante,
désolé pour vous, vous êtes destinataire de manière imminente d’un
infâme morceau de bidoche sec, une boule de nerfs, comme un vestige de
peau de mammouth tanné.
Bon courage ! J'espère que vous avez de bonnes dents.
En revanche, si on vous apporte le dernier Laguiole à découper (ah bon ils servent à quoi les autres Laguiole ?), ciselé main au burin, vous pouvez être sûr qu’il restera immaculé. Pourquoi ?
Par le fait que le morceau qui vous sera apporté religieusement aura la consistance d’une motte de beurre. Bref votre fourchette suffira à lui faire un sort définitif.
Couteau Laguiole dessiné par Philippe Starck. Il est fabriqué par la Forge de Laguiole. Autrement dit, la rolls du couteau.
Comment expliquer ce phénomène ?
C’est simple ! Les bons
couteaux sont des éléments plus que décoratifs en fait. Car le chef qui fait
l’effort de s’en procurer, c'est-à-dire qui a le souci de ce genre de
détail, est aussi attentif sur le choix de ses produits, donc de sa
viande, et très souvent ultra-précis sur ses cuissons.
A l’opposé,
vous avez le chef qui se fiche à la fois du choix des ustensiles et de
la qualité de sa viande. Donc le couteau sera aussi mauvais que son
entrecôte.
Donc, souvenez-vous. La prochaine fois que vous irez au restaurant, et souhaiterez choisir un plat de viande, demandez d’abord au maître d’hôtel de vous présenter le couteau à découper. Ne vous laissez plus avoir ! Vous saurez immédiatement à quoi vous en tenir !
PS : Ce principe marche très bien avec le poisson, ou les desserts. Pour ces derniers, on vous apportera un couteau uniquement quand il ne sera pas nécessaire. Pour faire joli sans doute !
Bravo pour ce billet.