750 grammes
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du miel et du sel
27 juillet 2009

Des invitations dans des palaces, de l'ironie, et du sens des affaires...

Début juillet je fus invitée au Bristol, où j'ai vécu un déjeuner hors norme : succulent pour le repas et aussi pour l'ironie. J'apprécie l'ironie comme on apprécie une bonne confiture, un grand vin ou un chocolat corsé.  C'est un des plaisirs de la vie, très intellectuel certes, mais délicieux. En fait j'ai beaucoup ri. Intérieurement, rassurez-vous : je sais me tenir à table.

C'est une chance extraordinaire de pouvoir aller dans de tels endroits. Pour situer, je vous rappelle que le chef de cette maison, Eric Frechon, a obtenu cette année sa troisième étoile au guide Michelin.

jardinbristol

Le Bristol, situé à Paris à deux pas de l'Elysée, est un très bel endroit. S'il fait beau on peut déjeuner ou dîner dans le jardin.

On pourrait se dire : un repas de conférence de presse n'est pas un "vrai" repas du Bristol, ils doivent servir des plats différents de leur carte habituelle, des choses plus simples et moins recherchées... Si c'est le cas, alors un dîner en tant que client "normal" doit être un véritable feu d'artifice ! Ce repas fut d'un bout à l'autre fabuleux : générosité, saveur, raffinement, plaisir des yeux et des papilles. Il y a plein de gens blasés qui se croiront intelligents de tout critiquer, moi je suis sortie de là les papilles émoustillées, et aussi la tête pleine de questionnements sur la marche du monde.

Bon, c'est très bien tout ça, mais où est l'ironie ? 

Eh bien l'ironie c'est que j'étais invitée par le groupe Lactalis . Souvenez-vous :  la guerre du camembert, et la crème au lait entier, dont j'ai déjà parlé, c'est eux ! Si.
Lactalis
qui est, je le rappelle, le 2° groupe laitier mondial, lance sur Internet un nouveau site : envie de bien manger.fr, destiné à promouvoir ses marques, et pour cette occasion a réuni la presse française au Bristol.

bristollactalis

Chez Lactalis, nous sommes des gens qui aimons bien manger, a souligné Luc Morelon, le directeur de la communication, dans son speech d'accueil. Donc le Bristol est l'endroit parfait pour vous inviter pour le lancement de notre nouveau site.

Le site se targue de promouvoir la culture du bien manger. On y trouve des recettes, des conseils (parmi lesquels j'ai noté celui-là : si vous voulez un repas plus léger, prenez plutôt un fromage qu'un dessert. Hum. C'est eux qui le disent.) On peut aussi se faire un carnet de recettes et le commander en ligne, on reçoit chez soi un petit livre avec des photos, et leur service marketing obtient par la même occasion notre adresse postale de clients motivés, dont ils feront surement bon usage.

Ce site a l'ambition de devenir le Facebook des sites culinaires, rien que ça : les inscrits, moyennant le modique don de leur adresse de courriel, pourront créer un  carnet personnel et aussi échanger leurs recettes avec les autres internautes. Ils appellent ça le "Facecook", et en privé (est-on réellement en privé quand on parle à un journaliste ?), ils nous expliquent que c'est un piège à c... lics.  À clics, j'ai dit ! Vous saviez que ça existait ? Moi je l'ai découvert, innocente que je suis.

beurreechireNous passons à table.

Oh quelle surprise ! On ne sert pas du beurre Président au Bristol ? Serait-ce un sabotage de l'ennemi ? Serait-ce un impardonnable oubli, une horrible lacune ?  N'est-il pourtant pas au top, le beurre Président ? En tout cas, personne n'a fait de scandale. Sauf une petite voix : tiens, ce n'est pas du beurre Président. Sourire gêné : et si on parlait d'autre chose ?

(Ceci dit, le pain est un délice, quant au beurre, il est à la hauteur du reste).

Mais voici qu'on nous apporte l'entrée.

IMG_8380

Macaronis gratinés  au vieux parmesan, farcis à la truffe, artichaut et foie gras. C'est aussi bon que ça a l'air appétissant.

Je me trouvais à la table d'un cadre de Lactalis qui s'occupe de l'exportation avec l'Asie et le Moyen Orient. C'est en dégustant ces macaronis que j'ai appris l'intention du groupe d'arriver sur le marché chinois, et pas n'importe comment : avec la mozzarella Galbani.

En Europe, la consommation de produits laitiers est en moyenne de 200 kg par an et par habitant (280 kg pour la France qui arrive juste derrière la Grèce, les Suisses étant en tête), alors qu'en Chine elle est de l'ordre de... 200 grammes. Vous concevez l'ampleur du marché à conquérir ! Seulement le hic, c'est que si les chinois consomment très peu de produits laitiers, c'est à cause de leur culture alimentaire. C'est ainsi depuis des millénaires et on sait bien qu'il est extrêmement difficile de changer les habitudes alimentaires, en tout cas cela prend plus d'une génération. On peut rétorquer que nous les Français, nous consommons aussi de la sauce soja. Certes, mais c'est marginal par rapport à notre alimentation globale, et toujours considéré comme un produit exotique, tout comme le fromage pour les chinois.

Je me disais dans mon for intérieur, tandis que je terminais la dernière et exquise bouchée de macaronis : que c'était une ineptie de vouloir faire manger de la mozzarella aux chinois. Quel sera l'intérêt quand tous les hommes de la planète mangeront pareil ? Où sera la diversité alimentaire ? Où sera le plaisir de voyager et de découvrir de nouvelles saveurs si on mange partout la même chose ? Où seront les singularités qui font toute la beauté des gastronomies locales ? Les chinois préfèrent le tofu à la mozarella Galbani, on ne va pas leur en faire reproche. Cela les embête un peu, chez Lactalis, ils ne vendent pas la mozzarella aussi vite qu'ils le souhaiteraient.

Dès le premier plat, je me rendis compte que Lactalis prône ouvertement la variété des saveurs, c'est même écrit dans leur communiqué de presse, mais en réalité ils œuvrent pour l'uniformisation planétaire de l'alimentation. Ironique, non ?

Moi ça me fait peur, cette idée d'uniformiser tout le monde. Mais, c'est bien connu, je n'ai aucun sens du business !

Le second plat vient d'être servi.

poisson

Bar de l'Île d'yeu, citron et coriandre, artichaut violet cuit au jus de coques et couteaux. Cuisson du bar parfaite  la sauce crémée aux coquillages est un vrai délice. L'écume qui surmonte le tout fait partie des concessions à la mode, mais ici, figurez-vous :
elle a du goût !

Ce dut être au moment où l'on nous apporta le poisson et sa merveilleuse sauce aux coquillages délicieusement crémée qu'une collègue mienne, qui n'a pas sa langue dans sa poche, a posé la question insidieuse :
Comment faisait-on de la crème avec du lait écrémé ? a-telle demandé, alors que la conversation de table allait bon train. Le monsieur n'a pas tout de suite compris la question, ou n'a pas voulu comprendre, il a fallu la lui répéter et lui rappeler : Vous annoncez que votre nouvelle crème est au lait entier. Alors comment faisait-on jadis de la crème au lait écrémé ?
Il s'est un peu perdu dans des explications, arguant que c'est uniquement un argument marketing pour différencier cette crème de la Bridélice, la préparation laitière allégée en matières grasses qui sort d'une usine du même groupe. Ce n'est pas vraiment une crème, ça oui, il nous l'accorde... Mais puisqu'il y a des consommateurs — et surtout -trices— qui la réclament et qui croient que c'en est (de la crème)... ne leur enlevons pas leurs illusions. 
Bref, il semble qu'il soit toujours aussi impossible de fabriquer de la crème à base de lait écrémé, même avec les moyens de la technologie actuelle, et que les vaches ne soient pas encore génétiquement programmées pour ne faire que du lait écrémé qui donnerait directement de la Bridélice. On est rassurés, mais jusqu'à quand ?

Au deuxième plat j'étais persuadée que Lactalis n'est pas vraiment prêt à faire de la pédagogie alimentaire, même dans leur nouveau site internet. Ironique, non ?

J'ai l'habitude d'appeler de la crème de la crème et de l'allégé du succédané. Mais je n'ai absolument aucun sens du business !

Les choses véritablement sérieuses ont commencé au plat de résistance.

agneaubristol

Carré et selle d'agneau de lait à la broche, pois chiche et cumin, brick d'épaule confite à la coriandre. Saveur, moelleux, délicatesse : le mignon carré d'agneau, et la selle fondent dans la bouche. Même la carotte qui sert de support au brick est bonne ! La purée de pois chiches très délicatement parfumée au cumin parachève l'ensemble. Quant au jus, il est d'un corsé...

Le responsable de l'export du groupe Lactalis nous a expliqué qu'il travaillait beaucoup avec le Proche Orient. Les pays arabes adorent la feta (il voulait en réalité parler du fromage de brebis Salakis, qui n'a plus le droit de s'appeler feta depuis que les grecs ont gagné leur bataille en 2002) et la consomment par kilos. Les affaires avec l'Irak sont aussi très florissantes. "C'est toujours très bon pour le commerce de travailler avec les pays en guerre", a-t-il affirmé péremptoirement en se frottant les mains, peut-être un peu euphorisé par le Margaux qui accompagnait avec bonheur l'agneau rôti.  Éberluée, j'ai quand même terminé la purée de pois chiches au cumin, qui n'y était pour rien, la pauvre, ni dans le malheur des Irakiens, ni dans le cynisme des industriels.

Il a continué : " Nous travaillons aussi avec l'Iran. D'ailleurs, suite aux événements récents, le gouvernement iranien a confisqué des denrées de première nécessité pour les redistribuer lui-même. C'est ainsi qu'il nous a réquisitionné un lot de lait infantile en poudre, il y en avait pour plus de cent mille euros. " Je me suis demandée un instant s'il fallait le plaindre, mais en écoutant la suite j'ai su que non. "D'ailleurs moi, ça m'est égal, j'ai une bonne assurance que je paye très cher (ici il a appuyé de la voix sur le mot "très") et qui m'a tout remboursé...  Mais mon revendeur iranien, lui, a tout perdu." La phrase est tombée sans état d'âme : une simple affirmation, comme un couperet. Je suis restée complètement ébahie devant tant de cynisme.

A la fin du plat de résistance, j'avais compris que Lactalis, sous son air bon enfant de vouloir rendre service aux internautes, et de promouvoir une alimentation savoureuse et bonne pour la santé, n'était pas philanthrope pour deux gouttes de lait. Ironique, non ?

Là, je n'avais plus très faim. C'est la preuve que je n'avais toujours pas acquis le sens du business.

A suivi un plateau de fromages que, un peu abasourdie, je n'ai pas photographié.

Un superbe Camembert fermier au lait cru, de derrière les fagots d'une ferme normande, un Roquefort à en avoir les larmes aux yeux, ensemencé au vrai pain moisi et affiné fort longtemps et un vieux Comté à soupirer de bonheur en pensant aux vaches montbéliardes et aux longs mois d'affinage dans des caves sûrement très profondes. Ce plateau, qui ne comportait que trois fromages différents, faisait partie de ceux pour lesquels on garde toujours la légendaire petite place, même si l'on a déjà bien mangé avant. De plus, on nous a servi pour l'accompagner des tranches de pain au levain qui étaient un pur délice (il ressemblait au mien, c'est dire !)

Si je vous en parle c'est qu'il est important pour l'ironie, ce plateau. Ces fromages qui n'ont jamais connu l'opprobre d'un entrepôt frigorifique ou la honte d'un stérilisateur, même les représentants de Lactalis les ont dégusté jusqu'à la dernière lichette. Ils nous ont expliqué avoir voulu ce plateau de fromages, malgré le fait que ce repas était déjà très copieux, parce qu'un repas offert par une entreprise de produits laitiers se devait d'en présenter un. Mais aucun fromage de chez eux n'y figurait. Notons-le. (Tant mieux, soit dit en passant, ça m'aurait ennuyée de rater ceux du Bristol).

Après le fromage, j'étais persuadée que chez Lactalis, il se régalent de tout ce qu'ils combattent. Ironique, non ?

J'ai l'habitude de promouvoir les produits que j'aime et de ne pas parler de ceux à la mode. Décidément je suis irrattrapable quant à mon manque de sens du business.

La cerise sur le gâteau : sur le croustillant la noix.

dessertbristol

Et voilà le dessert, c'est joli, n'est ce pas ?  La spirale est en chocolat. La glace au chocolat au lait et la barre se compose d'un praliné croustillant aux noix du brésil et d'une mousse de lait très très légère entre deux fines plaques de chocolat.

dessertbristolGPC'est un des meilleurs desserts de restaurant que j'aie dégusté depuis longtemps. On voit ici le détail du praliné croustillant qui se cache sous la mousse à la vanille.

A ce moment là, j'avais fermé mes oreilles à toutes les horreurs du monde.

Nous n'avons pas vu Eric Frechon, mais son chef pâtissier Laurent Jeannin est venu nous saluer à la fin du repas. C'est chaleureux de pouvoir féliciter un artiste, comme après un film qui se termine bien.

En sortant de là je m'interrogeais sur ce monde où nous vivons. Il y a quelque chose qui tourne de travers, non ? Pourtant la spirale en chocolat était parfaitement ronde, elle.

C'est sans doute la dernière fois que Lactalis m'invite au Bristol ou ailleurs. (Soupir). Je n'ai réellement aucun mais alors aucun sens du business !

Chers lecteurs, je suis sûre que vous vous demandez  comment ils font la spirale au chocolat ? Essayez de deviner, vous aurez la réponse dans le prochain billet....

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Commentaires
F
Je découvre votre blog, j'espère que vous n'avez pas mis trop de temps à digérer les réflexions cyniques du "gratin" de Lactalis, (c'eut été dommage avec un tel repas...) qui apprécie la haute cuisine gastronomique des chefs étoilés faite de produits de très haute qualité (tout le contraire de ce qu'ils produisent...)<br /> <br /> business is business...le con sommateur doit s'éduquer pour pas se faire bai...<br /> <br /> Votre article a du leur rester en travers de la gorge..vous n'êtes sans doute pas prête à repasser à table en leur compagnie.
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L
Miam !!!<br /> Je confirme : tu n'as aucun sens du business ! [Cheese]
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F
je découvre cet article ! je suis consternée, atterrée ! quel cynisme ! pas facile pour aller contre ces grands groupes industriels, je vais vite passer sur une autre page de votre blog pour retrouver un peu de fraîcheur et des recettes qui me font "ronronner" d'aise !<br /> Au fait, la digestion n'a pas été trop difficile ?
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C
Un article sur Rue89 qui explqiue comment Lactalis "invente" des proprietes au lait... pour le vendre plus cher, bien sur!<br /> ----Presque 50% plus cher pour un lait moins « banalisé »<br /> <br /> L'autre avantage d » 123 école, c'est qu'il va améliorer les compétences arithmétiques des 3-6 ans. Voilà un problème nouveau pour le cours de maths : <br /> <br /> « Sachant qu'un litre de lait est vendu en moyenne 80 centimes d'euro, calculez en pourcentage combien le petit Pierre dépensera d'argent en plus pour acheter un litre d'123 école à 1,19 euro. » <br /> <br /> <br /> Réponse : presque 50% de plus, en fait.<br /> VOIR RUE89 du 21 septembre 2009
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P
Je me suis régalé à cette lecture, vraiment! <br /> Le business agro-alimentaire, c'est pourtant simple, la preuve : Savoir distinguer ce qui est mangeable de ce qui est seulement vendable, exemple : je me demande si Fréchon connait le Salakis (ne profite jamais).<br /> <br /> Après tout, les chinois ont commencé à se mettre à la vigne et au blé, pourquoi pas au lait (ou au Besnier de crevette)? Je serais le "Président" de Lactalis, je ferais pareil, mais quand même pas avec du Galbani, les pauvres...
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