Côté pile ou côté face, Olivier Nasti m'a chambardé les papilles
Kaysersberg est une délicieuse petite ville d'Alsace nichée entre vignoble et montagnes. C'est là que se trouve le Chambard, le restaurant de la famille Nasti : Olivier en cuisine, et son frère Emmanuel directeur de salle et sommelier, secondés par leurs épouses. On peut s'y offrir de belles émotions gastronomiques, dans deux styles différents et complémentaires.
Au cours de deux voyages en Alsace, j'ai pu essayer les deux facettes. Et le pire c'est que j'aime les deux.
Côté pile, la Winstub nous offre à des prix doux toute la palette des saveurs traditionnelles d'Alsace, mais avec du dynamisme et pas un gramme de ringardise : tarte à l'oignon (épaisse et moelleuse), filet de sandre, Leberknepfle (dans une belle sauce brune et savoureuse), choucroute, coq au riesling sont cuisinés à la perfection et mis au goût des palais d'aujourd'hui. Les assiettes sont copieuses par dessus le marché, aiguisez votre faim avant d'y aller, sinon vous allez regretter !
La fraîcheur absolue du presskopf de saumon et sa sauce au raifort nous émoustille dès l'entrée.
Et quand arrive le dessert, le forêt noire, la tarte maison ou le kouglof glacé nous font hésiter longtemps devant la carte... Nous optons pour le vacherin monté à la minute avec des glaces et sorbets maison (miam) et des petits fruits rouges. Il s'avère d'une gourmandise absolue.
Côté face, le restaurant gastronomique nous propose une explosion de saveurs servie par une technique aboutie. Normal : Olivier Nasti est un MOF, un Meilleur Ouvrier de France. C'est tout dire. Et dans les plats, cela se voit, se sent, se goûte. Nous avons d'ailleurs choisi le menu MOF, à 53 euros.
Nous savourons notre verre de muscat d'Alsace, sec, très aromatique et fruité, toutefois légèrement atypique, tout en dégustant quelques petites choses vaguement molécularisantes, mais pas trop, et comme elles sont délicieuses, on leur pardonne tout.
Le menu commence par une somptueuse petite verrine de mousse de foie gras au cacao et pistaches, de la soie et du satin dans la bouche, avec le goût suave du foie gras. Le muscat de l'apéritif, que je n'ai pas fini, passe là dessus comme une caresse sur du velours.
Justement, à propos de muscat, il faut que je vous parle du sommelier. Pour seconder Emmanuel Nasti, il y a là un tout jeune et compétent sommelier japonais, qui est un passionné, ça se voit. Venir de si loin étudier nos vignobles, et les connaître sur le bout de la langue, si, si, j'ai bien dit de la langue, c'est déjà un signe de passion, et moi ça m'impressionne et ça m'émeut. Ce métier est extrêmement difficile, et fascinant. Quelqu'un qui est capable rien qu'en buvant un vin, de connaître la région, le cépage, le terrain où il a poussé, et quelle année il a été récolté fait forcément un métier fascinant.
De nombreux clients prennent le sommelier pour une serveur ordinaire, et c'est fort dommage. Ils n'imaginent pas la somme de connaissance qu'il faut. Le sommelier évidemment sait tout sur les vins, le processus de fabrication, il doit aussi connaître les appellations de France et du Monde, et savoir les accorder avec les mets. Il faut connaître les vignobles, les terroirs, les cépages, les sols et les climats. Il faut aussi gérer la cave, acheter les vins et les renouveler, prévoir leur vieillissement. Il faut goûter sans cesse, pour affiner ses papilles et son odorat. Voyager beaucoup pour rencontrer les vignerons et voir l'évolution de leurs vins. Il faut une grande sensibilité, pour distinguer à l'aveugle des saveurs plus subtiles les unes que les autres, de la mémoire, un minimum de culture, et aussi de la psychologie pour gérer la clientèle, s'y adapter, avoir l'esprit ouvert, agir avec tact envers ceux qui croient tout savoir.
C'est toujours un plaisir de converser avec le sommelier et lui demander son avis. Il est le mieux placé pour connaître à la fois sa cave et les plats qui nous seront servis. Les accords qu'il proposera seront forcément pertinents. Et entendre un bon sommelier vous parler du vin est un vrai bonheur. Il aura une langue poétique et des mots évocateurs. Même s'il est japonais et que notre langue n'est pas sa langue maternelle, il en parlera avec cœur.
Celui du Chambard s'appelle
Hiroshi HAYASHI, et je lui souhaite une belle carrière. Et bravo aux
belles maisons qui donnent leur chance aux jeunes prometteurs.
Bientôt les choses sérieuses commencent.
On nous apporte les Escargots de la Weiss à l'Alsacienne, façon nouvelle mode.
Ce sont de très beaux escargots rangés sur une fine tranche de kouglof
toastée, sur une mousse (genre bavarois) à l'ail, entourée d'un coulis
de persil. Textures variées, parfums en harmonie. Les classiques
escargots à l'ail et au persil sont complètement revisités, et les
saveurdes différents éléments sont bien présentes. Nous avons songé à
Bernard Loiseau et à ses époustouflantes cuisses de grenouilles à la
crème d'ail et jus de persil, l'inspiration était semblable, même si le
plat est différent.
Monsieur Hayashi nous a servi un pinot gris
(anciennement appelé tokay), très floral, incisif et pourtant plein de
tendresse, qui supporta sans encombre la typicité des escargots, de
l'ail (très doux quand même, l'ail) et du persil.
Pur suivre, un jeune lapin farci comme un lièvre à la royale était
escorté de gnocchis au parmesan et à la truffe et de deux mini fonds
d'artichauts, un farci de mousse d'échalote et l'autre de mousse de
chou rouge. Encore une fois, la technique est brillante, au service de
la saveur : la farce est délicieuse, rehaussée d'une touche de foie
gras au centre. Le fonds de sauce réduit à glace de longues heures vous
explose dans la bouche. C'est de la Grande Cuisine Française avec des
Majuscules, du souligné et du gras. (Heu, je
veux dire du gras typographique, pas du gras dans l'assiette). Pas
d'esbrouffe, pas d'épate, pas d'accessoires inutiles : le principal est
dans l'assiette, c'est le goût et c'est grandiose, d'autant plus que
c'est fait avec des produits simples: le lapin. Un petit peu de foie
gras, mais vraiment ce n'est pas lui qui domine.
Un Pinot noir
d'Alsace, tendre et velouté, a souligné avec bonheur la saveur de ce
plat, la puissance du fond de sauce et a ronronné comme un chat heureux
avec le moelleux des gnocchis et celui de la farce.
Pour le dessert aussi, rien d'inutile hormis la saveur. Ce sont des ravioles de petites crêpes fourrées à la mandarine, avec une panna cotta à la mandarine servie à part dans un petit verre.
Nous avons fondu devant un sublime gewürztraminer
vendanges tardives aux arômes de miel, mangue, litchi, agrumes... un
voyage dans un verre, un enchantement.
Et ensuite arrive une chose que je n'ai jamais vue ailleurs :
Un chariot de mignardises. Pfffiou... Mais pourquoi est ce que ça arrive à la fin du repas, quand on n'a plus faim ?
LE CHAMBARD
9-13 rue du Général de Gaulle
68240 KAYSERSBERG
__