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La
truffe noire fait partie de ces choses qu'on devrait pouvoir goûter au
moins une fois dans sa vie. C'est un produit d'exception, rare, cher et
exquis. La truffe c'est d'abord un prodigieux parfum, un concentré de
sous-bois, furieusement aromatique, qui vous envahit, intense,
puissant, insidieux, il va s'enfouir au plus profond de vous, puis
s'épanouit et reste longtemps, longtemps, comme le souvenir d'un moment rare, ou d'une très belle musique.
La
truffe était déjà appréciée par les gallo-romains. On en a ensuite
perdu le goût et l'usage, puis à la Renaissance, elle fait son grand
retour sur la table de François 1er, pour ne plus quitter nos assiettes
de fête.
Tuber melanosporum, c'est son nom de princesse.
C'est
le nom savant de la truffe dite "du Périgord", la plus recherchée. On
en trouve aussi ailleurs, puisque la première région productrice est la
Provence, suivie par la Bourgogne et le Poitou. Il existe aussi
d'autres variétés : brumale, mesentericum, æstivum, uncinatum, très bonnes, mais moins précieuses. Quant à la truffe de Chine, tuber sinensis ou himalayense, beaucoup moins parfumée il vaut mieux l'oublier.
C'est une princesse très capricieuse.
Le mot truffe est issu du latin vulgaire tufera, lui-même issu du latin tuber. Dans une zone géographique qui va de la Bourgogne jusqu'en Provence, on trouve pour la désigner le mot tartoufle, ou cartoufle, mot tiré de l'alémanique cartoffel.
Ce mot désigne la truffe, le champignon, mais a aussi le sens de
"moquerie, tromperie, hypocrisie", et c'est ce même mot que Molière a
employé pour désigner son Tartuffe. Oui, Tartuffe est une truffe !
Et très moqueuse.
Capricieuse
et hypocrite, la tartuffe nous promet des diamants noirs au milieu des
cailloux ! Non seulement, la truffe est difficile à trouver et semble
se jouer de ceux qui la cherchent, elle se joue aussi de ceux qui
essaient de l'apprivoiser en la cultivant. Cultiver,
c'est un bien grand mot : même si vous avez le terrain calcaire
adéquat, les essences d'arbres qu'il faut, même si vous plantez des
plants mycorhizés,
ceux-ci commenceront à vous donner des truffes que 10 ans plus tard...
et encore pas tous. Seulement 40 à 60 % produiront effectivement le
diamant noir ! Ensuite, pour les trouver, vous aurez besoin d'une autre
sorte de truffe : celle qui se trouve à l'extrémité antérieure d'un
chien dressé spécialement pour cet usage. (Oui, dit le mien, il y en a
qui ont des bons métiers !)
Sur la photo ci-dessus, on voit la mycorhyze,
les parties plus claires sur les racines de ce chêne. C'est l'organe
s'échange entre l'arbre et le champignon. Sa présence fera que le
chêne donnera des truffes... oui mais seulement s'il veut bien.
(Cliquez sur les photos pour les voir plus grandes)
Ce n'est pas tout : le mot cartoufle, de l'alémanique cartoffel, c'est le même mot qui a donné l'allemand Kartoffel : la pomme de terre. Hé oui, la truffe et la pomme de terre, même combat ! La tartoufle c'est aussi la patate. Ce mot tartoufle ne vous rappelle rien ? Réfléchissez : un plat très connu à base de pommes de terre et justement originaire d'une région du sud-est ? Oui, la tartiflette ! Ce plat roboratif de pommes de terres et fromage fait de son nom la liaison entre la pomme de terre et la truffe. Comme la truffe, la pomme de terre nait sous la terre, et elle a aussi la forme d'un tubercule irrégulier, et est noire quand on la déterre. Et à un moment de l'histoire, quand elle sauvait les gens de la famine, elle était au moins aussi précieuse. Alors Molière était-il visionnaire, lui qui donna le nom de Tartuffe à son personnage archétype de l'hypocrisie ? Il n'a pas inventé le nom, ni le sens, mais c'est à partir de lui qu'il est entré en français dans le langage courant. Tartuffe, la truffe, est aussi la pomme de terre, cette "truffe du pauvre", un genre de truffe menteuse, une qui se croit supérieure à ce qu'elle est et qui veut donner des leçons aux autres, finalement... Mais qu'on aime bien quand même lorsqu'elle est conforme à sa nature.
Ce
qui est dommage, c'est qu'on veuille absolument les truffes pour Noël,
alors que leur pleine saison commence véritablement en janvier,
et dure jusqu'à la fin du mois de février. Ne regrettez pas si vous
n'en avez pas trouvé pour ces fêtes, rien n'est perdu, surtout qu'avant
Noël, les prix sont au plus haut. Et après Noël, on n'a plus de sous. La vie est mal faite. C'est un autre des caprices de la Dame en Noir.
Au dernier Marché aux truffes de La Mothe Saint Héray dans les Deux-Sèvres, qui eut lieu le 13 décembre, elles se sont négociées entre 600 et 700 euros le kilo, selon la qualité. Oui, quand même.
Mais la bonne nouvelle c'est qu'on n'est pas obligé d'en acheter un kilo pour se faire plaisir. Sachez qu'entre 5 et 10 grammes par personnes, c'est amplement suffisant pour réaliser un plat des plus envoûtant que personne n'oubliera. Pour vous donner une idée plus précise : une truffe de 30 g suffit pour 4 personnes et coûte 20 euros.
Faut-il obligatoirement acheter des truffes fraîches ?
Sans
hésiter une seule seconde, je vous réponds : oui. On trouve bien sûr
des truffes en conserve beaucoup moins chères. Mais ce n'est pas du
tout la même chose ! La truffe fraîche est un produit vivant, qui émet
son parfum, diminuant petit à petit, pendant une dizaine de jours
suivant sa sortie de terre. Une truffe en conserve diffuse son parfum
pendant seulement une heure et demie au maximum après l'ouverture du
bocal si elle a été stérilisée une seule fois. Certains producteurs,
pour faire le "jus de truffe" stérilisent deux fois : le parfum est
alors devenu complètement virtuel... Si c'est pour frimer et dire aux
invités que la dinde est truffée, il faudra qu'ils vous croient sur
parole, car les petites choses noires seront autant parfumées que du
feutre. Alors moins cher, pour un parfum nul, faites vos comptes :
c'est très onéreux quand même. Achetez des cèpes séchés, vous aurez
plus de plaisir pour moins d'argent !
La
truffe fraîche, même si elle se conserve une dizaine de jours dans le
bas du réfrigérateur, doit être utilisée le plus vite possible,
pour être au maximum de sa saveur et de son croquant. On la met en
valeur dans la simplicité : il lui faut des recettes épurées, franches,
naïves, sobres. C'est une princesse pas bégueule, elle aime les
ingrédients du quotidien : les œufs, les pommes de terre, les pâtes, le
riz. Elle se plait, jetée au dernier moment dans une petite sauce
crémée. Dans un œuf brouillé, une purée de pommes de terre, ou dans un
risotto, elle donnera toute sa splendeur. Ou simplement en lamelles sur
une salade de mâches. En dessert, sa volupté est de parfumer une crème
anglaise, ou une glace. Elle aime la matière grasse, la rondeur, la
sensualité. La truffe, généreuse, n'est pas au régime.
Elle se congèle très bien, de plusieurs manières possibles, selon l'utilisation qu'on veut en faire.
Le
plus simple est de l'emballer entière dans beaucoup de tours de film
étirable, puis de la mettre dans un petit bocal hermétique, et au
congélateur.
Voici aussi deux méthodes qui permettent de capter son parfum et de le garder prisonnier.
On peut la mettre recouverte d'une bonne huile d'olive dans un bocal, on la laisse 48 heures au frigidaire, puis au congélateur. On laissera décongeler, on récupérera la truffe, sans oublier d'utiliser l'huile parfumée dans une salade, versée en filet sur des pâtes, sur des coquilles saint-Jacques, un filet de poisson, un blanc de volailles ... Quel bonheur.
Et enfin, on peut aussi la râper, la mélanger à du beurre, attendre 2 jours au frais, et ensuite congeler le tout. Cette méthode est idéale si vous voulez faire par exemple un risotto aux truffes, ou une purée de pommes de terre. Mettez 15 à 20 % de truffe par rapport au poids de beurre. Décongelez le beurre de truffe pendant quelques heures au réfrigérateur, puis utilisez-le dans votre recette.
Et ce beurre de truffe, tartiné sur du pain, est une chose tout simplement magnifique à l'apéritif.
Où trouver des truffes fraîches ?
Sur les marchés, chez les producteurs. Voici les dates des prochains marchés aux truffes de la région Poitou-Charentes :
Les 14 et 28 Janvier 2010 à La Mothe Saint Héray (79), le 9 janvier à Vivonne (86), et tous les mardis à 9h30 et les vendredis à 17 h jusqu'au 23 février à Jarnac (16).
Pour les autres régions, vous trouverez ICI (clic) les syndicats de trufficulteurs, qui vous donneront toutes les adresses des producteurs et les dates des marchés.
Si vous allez à un marché aux truffes, soyez ponctuels : il faut impérativement arriver au début ! On a beau nous rabâcher que c'est la crise, en général il y a affluence, voire bousculade, et tout est très vite vendu !
Chez les bons producteurs, les truffes sont vendues lavées, brossées, ressuyées, triées et de plus elles sont canifées, c'est à dire qu'elle sont vérifiées : elles doivent être entamées d'un coup de canif, afin d'être sûr que l'intérieur n'est pas pourri, et qu'il s'agit bien d'une tuber melanosporum et non pas une truffe de Chine dont le veinage est différent. Si ce n'est pas fait, demandez-le, un bon marchand ne le refusera pas. La truffe sur la photo plus haut, sur la balance, est canifée. (cliquez dessus pour mieux voir).
Si vous voulez acheter une petite truffe, et qu'il n'en reste que des grosses, demandez au producteur s'il veut bien vous en couper un morceau. Certains acceptent, surtout en fin de marché.
Celle-ci n'est pas la melanosporum : c'est la tuber ucinatum, ou truffe de Bourgogne, on la reconnait à sa peau plus grenue.
Et enfin un dernier truc pour les radins et les connaisseurs :
Rangez
votre truffe dans un bocal fermé en compagnie d'une douzaine d'œufs.
Attendez 3 ou 4 jours. Ensuite, utilisez la truffe, ou congelez-la. Et
avec les œufs, faites une omelette aux truffes... mais sans truffes ! (La coquille des oeufs est poreuse et ils vont absorber le parfum.)
Passez une excellente soirée de Saint Sylvestre, et glissez en beauté et sans encombres dans la nouvelle année, chers lecteurs !
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Trés bonne année à toi et pour tout merci
Anne