-
Trempé comme une soupe : elle ne vous
parait pas étrange, cette expression qui semble pléonastique ? C'est
évident que c'est mouillé, une soupe, puisque c'est liquide ! Hé non, la
soupe, ce n'est pas ce que l'on croit.
Qu'est ce qui sent si bon dans la cuisine ? Qu'est ce qui nous réchauffe et nous réconforte pour un effort et un budget minime ? C'est un grand classique de la cuisine Lyonnaise : la soupe gratinée à l'oignon.
Du pain à la soupe, ou de la soupe au
pain ?
La soupe, étymologiquement, ce n'est pas le liquide du bouillon ou du potage, mais c'est une tranche de pain que l'on mouille de bouillon, de vin ou de lait. Ce n'est qu'à la fin du XIX° siècle que le liquide de trempage a pris le nom de soupe. Ce mot vient du germanique occidental *suppa, "tranche de pain que l'on arrose de bouillon", mot de la même famille que le gotique supôn, "assaisonner", passé ensuite dans le latin suppa. Maintenant l'expression trempé comme une soupe prend tout son sens : c'est être aussi mouillé qu'une tranche de pain trempée dans un bouillon. Du même coup, on comprend aussi ces vieilles expressions : mouiller la soupe, tremper la soupe, ou même tailler la soupe. Tailler la soupe, c'est couper le pain en tranches. Mouiller la soupe, c'est arroser le pain de bouillon ou de vin. Et dans certaines provinces on mange des soupes dorées, qui sont des tranches de pain trempées dans du lait et de l'œuf battu puis dorées à la poêle, autrement dit du pain perdu. Quant à la soupe au lait, c'est une tranche de pain dont le bouillon de trempage est remplacé par du lait, qui déborde quand on le fait bouillir, c'est pourquoi on appelle ainsi des gens qui se mettent facilement en colère.
Et les croûtons alors ?
Les croûtons, c'est eux le pléonasme, car les croûtons sont l'autre
nom des soupes. Une soupe aux croûtons, c'est littéralement du pain au
pain...
Quand on dit "autrefois les gens ne nourrissaient
principalement de soupe", il faut comprendre qu'ils se nourrissaient de
pain, et non pas de potage !
Vite, la recette.
L'hiver n'est pas fini. Alors une bonne soupe bien chaude, au fromage bien gratiné (du comté AOC, évidemment), et remplie à la fois de feu et de tendresse, c'est ce qu'il nous faut. Bien copieuse, elle peut même faire l'essentiel d'un repas du soir, suivie d'une salade et d'un dessert.
Nous allons donc tremper quelques soupes d'un bouillon à l'oignon, puis les gratiner. Un bonheur.
Pour 2 bols de soupe :
2 beaux gros oignons
20 g de beurre
1 cuil. à
soupe rase de farine
5 cl de vin blanc sec
50 cl de bon bouillon
(volaille, boeuf, légumes)
4 tranches de pain de la veille
75 g
(au moins!) de comté
Muscade râpée
Sel, poivre du moulin
Et si l'on veut une version plus festive :
2 jaunes d'œufs
2 cuil. à soupe de crème épaisse
2
traits de porto ou de madère
La préparation de cette soupe est simplissime. On épluche les oignons et on les émince en fines lanières. On les fait revenir dans le beurre chaud avec une pincée de sel, jusqu'à ce qu'ils colorent légèrement. On les saupoudre de farine et on mélange quelques instants, ensuite on verse le vin et le bouillon. On assaisonne de sel, poivre et muscade râpée. (On goûte d'abord, si le bouillon est déjà salé). On porte à ébullition, on couvre et on laisse mijoter 20 minutes, jusqu'à ce que les oignons soient bien tendres et presque fondus.
Pendant ce temps, on prépare les petites soupières ou les bols. On
peut aussi utiliser une grande soupière : on servira alors la soupe à la
louche, en répartissant les tranches de pain entre les convives.
On
coupe le pain, et on râpe le comté. On superpose dans les soupières les
tranches de pain en alternance avec le fromage râpé, on garde un peu de
fromage pour mettre à la fin.
On allume le grill du four. On imagine déjà ce fromage qui va fondre et puis devenir croustillant en surface, au dessus de la soupe odorante, et le reste du comté qui va se mêler au pain humide ces longs fils d'amarres gourmandes que soulèvera la cuillère ...
Le bouillon aux oignons est cuit. Si l'on fait la
version festive, c'est maintenant que ça se passe : on mélange les
jaunes d'œufs, la crème et le vin, et on verse le tout dans la casserole
hors du feu, on mélange, on goûte et on rectifie l'assaisonnement.
Attention, le parfum qui se dégage est diabolique et va vous tourner les
sens.
C'est maintenant qu'on va tremper les soupes : on remplit
les bols avec le bouillon aux oignons, et on saupoudre le reste de
fromage à la surface. On les place sur une plaque de cuisson et on les
glisse sous le grill.
Cinq minutes plus tard, on les ressort brûlantes, toutes dorées, humant le réconfort à plein nez !
-
Ma grand-mère m'a raconté celle-ci. En 1870, elle avait vingt-deux ans quand les Prussiens arrivèrent au village... Que remue-ménage chez les gens!... Ces gourmands-là bouffaient comme des cochons et buvaient la boisson. Ils se faisaient nourrir sur place. Leur ravitaillement ne suivait pas les soldats.
Un jour, les voilà qui viennent chez Amélie, pour manger. Leur chef voulait de la soupe de lègumes avec du lard dedans. La pauvre femme avait bien des pommes de terre, des carottes, des navets, des choux. Pour le lard elle n'en n'avait plus qu'un petit morceau et il n'était pas question de tuer le porcelet qui était trop petit. Que faire? Amélie tremblait tout son saoûl. Il fallait tout de même y passer...
Les Prussiens, partis dans les bois, pour chasser les francs-tireurs, avaient laisser leurs sacs dans la grange.
La voilà qui retourne tout dans leur bazar... Que trouve-t'elle? Dans chaque sac, il y avait une couenne avec du lard bien gras après. Elle pense : c'est le Bon Dieu qui m'a fait trouvé cela! Elle ramasse le tout sans se demander ce que les Prussiens pouvaient bien faire avec leur lard. La soupe prête, avec de beaux yeux dessus, voilà les Prussiens qui rentrent, tous affamés. Ils sautent sur leurs gamelles pour dévorer le lard et les légumes. Ils étaient bien contents, tous. Ils avaient, encore une fois, le ventre plein...
Sans dire un merci à Amélie, les voilà qui reprennent leurs sacs et repartent plus loin. Le soir ils avaient fait vingt kilomètres, en chantant, le temps était encore bien chaud, étouffant même. Plus d'un avait contracté le frayon (irritation entre les fesses). Dans la grange où ils étaient pour passer la nuit, les voilà qui cherchent leur lard pour se graisser entre les deux fesses. Ils pensaient tous qu'un chien ou un chat l'avait volé. Le lendemain, ils avaient tous racheté un morceau de lard.
Amèlie raconta tout cela à son homme.
"Bonté! dit celui-ci, je comprends pourquoi ta soupe était si bonne... C'est avec leur lard qu'ils se graissent le cul, comme on fait pour les scies, avec un nombril de cochon!"
Il se mit à rire comme un fou. Amélie n'en revenait pas de son bon tour aux Prussiens. Mais cela la faisit un peu hoqueter de dégoût en y pensant...
(extrait du livre "La Cuisine Lorraine" de Jean-Marie Cuny)