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On a
parfois dans la vie des périodes où rien ne va, où la vie semble
pendre un malin plaisir à vous embourber, et soudain se produit une
occasion de rêve, une porte qui s'ouvre sur un vaste ciel étoilé. Un repas
chez Joël Robuchon en fait partie. Une gloire, une lumière inattendue,
des douceurs divines, un fabuleux moment, un éblouissement. On prend de
la vie ce qu'elle nous donne au moment où elle nous le donne, on dit
merci et on ne joue pas les blasés !
Ceci est une salade de pommes de terres. Les pommes de terres sont tièdes comme il se doit, arrosées d'une vinaigrette à la truffe, échalote et quelque autre ingrédient diabolique. Elles sont surmontées de copeaux de foie gras, et de lamelles de truffe. Et pour chatouiller le tout : le poivré d'un bâtonnet de radis et d'une feuille de roquette. Déjà, au premier plat, on est comme saisi par l'évidence.
Le risotto à l'oseille nous captive encore par sa verte fraîcheur. Il est garni d'asperges, copeaux de parmesan et de trois sot-l'y-laisse dorés et fondants à cœur. Ce qui ravit, c'est le goût. La saveur des choses semble décuplée. Oseille acidulée, pétillante, asperge puissante, parmesan salé et animal. Le tout chante et crée un autre goût encore, celui d'une promesse printanière. On reconnaît la cuisine des grands chefs à cette manière de magnifier les goûts, alors que dans la cuisine médiocre, ils sont souvent délayés dans les apprêts.
Le plat principal achève de nous enchanter. Un filet de
barbue nappé d'un beurre blanc parfumé au yuzu. Le poisson est cuit à la
perfection. Le beurre blanc au yuzu fait chanter toute la fraîche
subtilité de cet agrume, fruité, un peu floral, acidulé, sans pour
autant masquer la délicatesse du poisson. La sauce est garnie de dés de
tomates, effilochée de basilic et de petits morceaux d'algue. Le tout
est simple, harmonieux, sincère, limpide. A côté, on nous a servi la célébrissime purée de
beurre de pommes de terre de Joël Robuchon. Une gourmandise à elle
toute seule.
Et quand arrive le moment du dessert, on est subjugué, mais sous aucun prétexte on ne dit qu'on n'a plus faim. Le dessert est concocté par le génial chef pâtissier François Benot. C'est lui qui a inventé les sphères en sucre ou en chocolat qui sont maintenant copiées partout. Les desserts de François Benot sont à la gastronomie ce que le haiku est à la poésie. C'est tout un monde concentré dans une saveur. C'est d'une cohérence lumineuse. Pas de chichis, pas de fioritures inutiles, rien d'encombrant, pas de feuille de menthe piquée sur une rosace de chantilly, pas de machin pointu en feuille de brick, pas de grappillon de groseille, pas d'improbable petit verre rempli de granité fondu qui vous laisse sur votre frustration, ni de trait en sirop de fruit rouge. Pourquoi faire compliqué quand on peut faire simple ? Vous vouliez un dessert : on vous en apporte un seul au centre de l'assiette. Mais quel dessert !
Ici, c'est à la mandarine. D'abord une fine coque de meringue que l'on casse avec sa cuillère. Dedans (il faut me croire sur parole car je n'ai même pas songé à photographier le ventre ouvert de cette chose tellement j'étais sous le charme), c'est toute une symphonie. Une crème à la mandarine et au yaourt, onctueuse et légère, une mousse à la mandarine, un sorbet à la mandarine, des segments de mandarine soigneusement pelés et des petits cubes de gelée de mandarine, le tout subtilement entremêlé. C'est une musique : allegretto vivace. Du croquant, du mousseux et de l'aqueux, de l'explosif, de l'onctueux, du solide et du fluide, du sucré et de l'acidulé, du fruité, du froid et du tempéré, et surtout, surtout, la saveur de la mandarine. Du grand Art.
Un petit café, et vous êtes gaillards et de bonne humeur pour toute la journée.
A gauche : David Alvès, le chef double étoilé de la table de Joël Robuchon, jeune et talentueux, qui a concocté ce repas. A droite : Frédéric Simonin, qui était chef du même restaurant jusqu'en 2007, qui a obtenu les deux premières étoiles, avant de partir à Londres où il a gagné encore deux étoiles, et dont vous entendrez bientôt des nouvelles. Bref, il y a beaucoup d'étoiles sur cette photo !
Au fond, vous distinguez la salle du restaurant, à la décoration sobre faite de tons chauds, bronze et or, et de miroirs qui agrandissent l'espace. L'ambiance est intime, élégante et feutrée. Et le service ? Gentil, et même pas guindé, même pas.
Fin de la parenthèse, nous retournons à la vie ordinaire. Mais rentrer chez soi après un beau voyage, c'est autre chose que d'être toujours resté à la maison. C'est pareil pour manger chez soi après un tel repas : on a entrevu le jardin des délices, et il en reste quelque chose d'enrichissant. J'espère que me lire vous aura un instant plongé dans la parenthèse, chers lecteurs.
Merci pour ce billet qui, en effet, nous offre une bien douce et savoureuse quoique virtuelle parenthèse!
Bonne journée, que j'espère lumineuse aussi, avec le printemps qui démarre.