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Le restaurant The Blue Ginger m'a fait aimer la cuisine peranakan (clic), aromatique, subtile et recherchée. Blue Ginger, c'est un joli nom, qui n'évoque pas un mythique "gingembre bleu", ce serait trop simple. C'est ainsi qu'on appelle le galangal, une racine au frais parfum de citronnelle, qui ressemble au gingembre, mais dont la chair est légèrement violacée.

On y déjeune dans le décor d'une ancienne shop house. Ici, pas de distinction entrée-plat-dessert. On apporte tous les plats en même temps sur la table. Chacun a une assiette de riz (qui est renouvelée à volonté) et se sert des différents mets dans l'ordre qui lui plait. Nous commandons des plats différents pour chaque personne, afin de goûter le maximum de choses.

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Achards de légumes marinés et sambal sont des accompagnements bien relevés... On grignote les légumes en attendant le reste. Leur piquant nous met en appétit. Le citron vert est très utilisé dans cette cuisine. Il s'agit de petits citrons verts très parfumés, appelés calamansi limes.

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Ces petites bouchées mignonnes s'appellent Kueh Pie Tee. La pâte est très croustillante et à l'intérieur se trouvent des pousses de bambous et radis émincés, parfumés de coriandre, sur le dessus une crevette et une touche de piment. On dirait des cupcakes, mais (fort heureusement) il n'en est rien !

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Voici les Ngo Heong, des rouleaux qui célèbrent le mariage du porc et de la crevette, avec des châtaignes d'eau, assaisonnés de sauce soja et de quatre-épices. Ils sont entourés d'une feuille de pâte de tofu, d'abord cuits à la vapeur puis frits. C'est moelleux dedans et croustillant-doré dehors. Un régal. On les accompagne avec une sauce pimentée et une sauce épaisse et sucrée à base de soja, (Tian mian jiang, c'est la sauce que l'on sert avec le canard laqué, pour ceux qui connaissent la cuisine chinoise).

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Le boeuf rendang est un plat traditionnel indonésien que les nonyas se sont appropriés. Il était originairement préparé avec du buffle. La viande de boeuf, coupée en morceaux, est longtemps mijotée dans du lait de coco avec une pâte d'épices finement moulues, jusqu'à ce qu'elle soit tendre, et la sauce bien épaisse.

Tordons le cou aux idées reçues : je vous rappelle que le mot curry ne désigne pas une épice, ni un mélange d'épices, mais une manière de cuire les aliments, mijotés dans une sauce. En fait un curry est tout simplement un ragoût. C'est pourquoi vous n'en trouverez pas deux qui ont le même goût, car tous sont concoctés avec des aromates différents.

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Cette spécialité de Blue Ginger, s'appelle Ayam panggang. Ayam signifie poulet, un poulet ici désossé, tendre et savoureux, macéré enduit d'un mélange d'aromates, puis grillé et nappé d'une sauce épaisse à la noix de coco, la viande est absolument sublime et le goût de la sauce... ouah.

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Et voici le Nonya fish head curry. Ne le trouvez-vous pas mignon avec son œil coquin et sa nageoire qui nous fait coucou ? Le curry de tête de poisson est un plat traditionnel en Malaisie, mais les Nonyas ont leur manière à eux de le préparer. Le poisson est un red snapper, un vivaneau, cuisiné avec des légumes : gombos, tomates, aubergines, épinards d'eau. Les autochtones mangent tout dans la tête du poisson, les joues, la langue, la cervelle (heu, les poissons en ont une ?), et même les yeux. Mais la tête que vous voyez sur ce plat était accompagnée d'une grande portion de chair, nous en avions assez pour quatre. Tout de même quand nous avons terminé le plat, avec les yeux du poisson encore intacts, le serveur en desservant a dû soupirer au gâchis.

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Ce plat s'appelle Sambal Terong Goreng. J'ai beaucoup aimé ces aubergines, délicieusement frites et nappées d'une purée de piments très parfumée, adoucie avec de la sauce soja sucrée.

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Voici le plat le plus extraordinaire que j'aie mangé à Singapour : Ayam buah keluak. Vous allez peut-être trouver qu'il ne paie pas de mine, avec sa sauce noire, mais il a quelque chose de spécial et même de fascinant.

Le poulet coupé en morceaux est cuisiné avec une noix nommée Buah keluak, provenant d'un arbre dont le nom latin est Pangium Edule. Cet arbre tropical produit des fruits de la taille d'une papaye, contenant plusieurs noix (voyez des photos ICI clic ). La particularité de cette graine est qu'elle est hautement toxique car elle contient du cyanure d'hydrogène en forte concentration, gloups. C'est même tout simplement mortel, je vous le dis carrément. (Voyez comme je vis dangereusement rien que pour vous faire des articles qui sortent de l'ordinaire sur ce blog !)

Pour les rendre comestibles, soit on les fait bouillir en changeant l'eau plusieurs fois et ensuite on les laisse plusieurs jours dans l'eau courante d'une rivière, ou alors on les faire bouillir pendant plusieurs heures, puis on les enterre, emballées dans des feuilles de bananier et dans de la cendre pendant 40 jours. De gris marron, elles deviennent noires et luisantes et développent leur parfum. C'est après ce traitement qu'elles sont vendues sur les marchés de Singapour. Il se produit une fermentation qui annule le poison. Si je suis encore là pour vous en parler, c'est que cela a été réellement annulé. On ne dira jamais assez le bienfait des fermentations. Mais ne me demandez pas comment les hommes ont eu un beau jour l'idée de manger cette noix, au prix d'une préparation longue et fastidieuse, je n'en ai pas la moindre idée.

Mais ce n'est pas tout. Pour faire la recette, après ce premier traitement, une cavité est pratiquée dans la noix. Sa chair est sortie de l'écorce et mélangée à des épices, puis le tout est remis à l'intérieur de l'écorce, ce qui demande beaucoup de temps. Les noix sont mijotées dans la sauce du poulet et lui donnent leur saveur indescriptible. C'est vraiment difficile de décrire la saveur de ce plat. On mange l'intérieur des noix avec une petite cuillère, c'est crémeux, un peu râpeux, noir, et extrêmement parfumé. Un goût de champignon, presque de truffe, de fromage, de viande un peu forte comme le gibier, un goût de civet. D'ailleurs la sauce a la couleur d'une sauce de civet. Une saveur animale plus que végétale, mais en tout cas très complexe.

Pas de dessert à la fin de ce repas, bien qu'il y en ait sur la carte. Le dessert n'est pas systématique comme en occident, il est même traditionnellement assez rare. Mais après un repas pareil, cela ne me manque pas. (Que les becs sucrés se rassurent, j'ai dégusté à Singapour des desserts absolument divins et j'ai même les recettes... qui seront l'objet de prochains billets).

Je suis ressortie de là euphorisée par l'effet des épices (Saviez vous que le piment, comme le chocolat, nous fait libérer des endorphines ?), et surtout un peu plus riche, avec la joie d'avoir découvert de nouvelles saveurs, de nouvelles traditions. Il y a tant de belles choses dans les cuisines du monde, provenant de pays qui cultivent une vraie tradition culinaire, comme en France,  et je suis heureuse de partager avec vous, mes chers lecteurs !

Allez voir quelques photos supplémentaires sur le site du restaurant Blue Ginger, c'est ICI.

Et quand je vous dirai que ce repas a coûté 85 dollars singapouriens, soit 47 euros pour 4 couverts, vous comprendrez qu'il ne fallait absolument pas s'en priver.

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