Le poulet Vallée d'Auge, une recette classique normande ?
-
J'en
vois d'ici qui se demandent pourquoi ce point d'interrogation dans le
titre. Le poulet sauté à la Vallée d'Auge, tout le monde croit que c'est
une recette ancienne, transmise depuis des générations, de mère en
fille autour des prés, des pommiers et des vaches normandes. Que nenni !
Cette recette, tout comme cette de la sole normande, et du homard à
l'armoricaine, fut créée dans un restaurant parisien au XIX° siècle,
alors que le nationalisme ambiant allait de pair avec la promotion de la
bonne cuisine de nos terroirs.
Pour en savoir plus, lisez cet excellent livre : Le mythe gastronomique français, de Alain Drouard, éditions du CNRS.
On
y apprend, loin des clichés et des idées reçues, comment le mot
gastronomie est né en France dans le poème d'un auteur complètement
oublié, comment et pourquoi la cuisine française est depuis la fin de
l'Ancien Régime réputée la meilleure au monde, comment et pourquoi est
née cette réputation, quelles conditions économiques et politiques ont
accéléré ce processus, et par quel paradoxe étrange il se fait que les
pratiques culinaires quotidiennes de la plupart de nos contemporains
sont loin de ce discours élitiste de la gastronomie. La gastronomie
française fut en deux siècles plusieurs fois considérée comme en déclin,
et aujourd'hui elle est encore menacée par ce danger qu'est
l'industrialisation. A ce sujet l'auteur rappelle que notre choix de
nourriture est aussi un acte politique : selon que l'on choisit de
cuisiner soi même avec des produits artisanaux, ou de consommer des
produits industriels, on choisit et on encourage un système ou un autre.
C'est une étude historique passionnante, et j'ai beaucoup aimé cette
conclusion du livre.
Peu importe que ce ne soit pas une recette immémoriale : toutes les traditions on bien eu naissance un jour ! Celle-ci utilise les produits du terroir : le calvados, la crème, les pommes, et un bon poulet de ferme. Et du moment que c'est bon, on adopte — ce qu'ont tout de suite fait les normands et normandes, qui sont de grands gourmands, c'est bien connu.
Je vous fais remarquer au passage
que l'ajout de fruits et de sucré dans les recettes salées n'est pas du
tout une invention récente, ni une influence étrangère, comme beaucoup
le croient à tort...
Poulet sauté Vallée d'Auge
Pour 4/6 personnes :
1 beau poulet label rouge
25 g de beurre
2 échalotes
1 petite carotte
1 bouquet garni : thym, laurier, persil
5 cl de calvados
10 cl de fond de volaille
20 cl de crème liquide
sel, poivre du moulin
La garniture :
2 pommes par personne (reine des reinettes)
1 cuil. à soupe de sucre
300 g de champignons de Paris
40 g de beurre
Découpez le poulet à cru en 4 ou 6 morceaux. Assaisonnez-les de sel et
poivre. Chauffez le beurre dans une cocotte et faites-y revenir les
morceaux de poulet en plusieurs fournées. On commence toujours par faire
revenir les morceaux du côté peau. Dès que c'est coloré, on retourne.
(Surtout je jetez pas la carcasse
du poulet, gardez-la au congélateur pour faire plus tard un bouillon qui
sera bien meilleur que les cubes de l'industrie agro-chimique et qui
vous aura coûté zéro centimes supplémentaires !)
Pendant ce temps, ciselez les échalotes, taillez la carotte en petits dés.
Quand
tous les morceaux de poulet ont blondi, débarrassez-les sur une
assiette et videz le gras de la cocotte. Ajoutez les échalotes et la
carotte, une pincée de sel, et remuez quelques instants sur feu vif.
Remettez les morceaux de poulet.
Chauffez le calvados dans une petite louche, enflammez-le et versez-le dans la cocotte.
Je sais, il y en a qui vont vous dire que cela ne sert à rien de faire flamber le calvados, puisque de toute façon l'alcool va s'évaporer tout seul durant les 45 minutes de cuisson. Et alors ? Si ça nous plait, à nous, de le faire flamber parce que c'est plus joli ?
Quand les flammes sont éteintes, remuez, ajoutez le bouquet garni et le fond de volaille. Faites partir l'ébullition, puis couvrez et laissez mijoter à feu doux pendant 45 minutes.
On peut aussi mettre du cidre à la place du
fond de volaille. Moi je préfère le boire avec le poulet. Mais vous
faites comme vous voulez. Le cidre n'apporte rien de plus, je trouve. Le
calvados donne une saveur plus délicate. Vous verrez aussi des recettes
où l'on met la crème dès le début. C'est quasiment la garantie de voir
la sauce "trancher", c'est à dire la crème coaguler en flocons d'un côté
et matière grasse de l'autre... ce qui est très laid et peu
appétissant.
Pendant ce temps, épluchez les pommes,
épépinez-les, coupez-les en 8. Poêlez-les dans 20 g de beurre,
saupoudrées d'un léger voile de sucre, jusqu'à ce qu'elles soient
légèrement caramélisées. Ne les faites pas trop cuire, sinon, elles
seront en purée et la présentation sera moins jolie. Testez de temps en
temps la cuisson de la pointe d'un couteau. Dès qu'il s'enfonce sans
résistance, c'est cuit.
Dans le même temps, poêlez les champignons
avec le reste de beurre à feu vif, jusqu'à ce qu'ils rendent leur eau.
Réservez tout ça.
Lorsque le poulet est cuit, sortez les morceaux de la cocotte et tenez-les au chaud. Portez le jus de cuisson à ébullition et faites-le réduire de moitié. Ajoutez la crème liquide, faites bouillir à nouveau jusqu'à ce que la sauce épaississe. Rectifiez l'assaisonnement. Passez la sauce au chinois.
Dressez les champignons sur les assiettes, le poulet par dessus et
garnissez avec les pommes. Nappez d'un peu de sauce, présentez le reste
en saucière. Servez sans attendre !
Prévoyez du pain pour saucer, car la sauce à la crème est délicieuse, ou accompagnez avec du riz ou des tagliatelles.
Buvez un bon cidre fermier bien frais, ou un joli blanc fruité : un
Marigny Neuf, sauvignon vif et élégant, acidulé mais pas trop, de
Frédéric Brochet, Ampelidae à Marigny Brizay près de Poitiers.
Bouillon de volaille
A la demande d'un lecteur, voici la recette de mon bouillon de volaille maison : prenez 2 ou 3 carcasses de poulet que vous aurez collectionnées dans votre congélateur, mettez-les dans un faitout, ce n'est même pas la peine de les décongeler avant. Versez 1 litre d'eau par carcasse. Portez à ébullition et écumez. Quand il n'y a plus d'écume, ajoutez un petit peu de gros sel de mer, quelques grains de poivre noir, 1 oignon piqué de 3 clous de girofle, 1 poireau, 2 carottes, 1 branche de céleri, 1 bouquet garni (thym, laurier, persil). Couvrez, mettez à feu doux et faites bloublouter tout ça tranquillement pendant 2 heures. Après ça, passez le bouillon et utilisez-le pour des soupes, des sauces, des fonds. Congelez-le dans des bacs à glaçons pour ne sortir que la quantité nécessaire. Et vous pouvez aussi manger les légumes !