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du miel et du sel
20 janvier 2011

La guerre du beurre aura-t-elle lieu ?

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Aimez-vous le beurre ? Le beurre qui fond dans la bouche. Vous rappelez-vous le jeu du bouton d'or, cette renoncule que les allemands appellent justement Butterblume, fleur de beurre, dont le reflet jaune sur la peau nous rappelait, enfants, que l'on aimait le beurre, ou pas.

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La motte de beurre, Antoine Vollon, 1833-1900 (photo Wikipedia)

Le beurre est un fabuleux vecteur de saveurs. Qu'auraient été nos goûters d'enfance sans la tartine de beurre ? Cette soyeuse fraîcheur qui habille une tranche de pain croustillant ? La tartine de beurre, toute seule, ou avec un morceau de chocolat pour la magnifier ? Franchement qu'y a-t-il de meilleur ?

Que seraient sans le beurre les sablés bretons qui se froissent sous la dent, cèdent et nous emplissent de leur goût inimitable, avec cette pointe de sel qui fait chanter toutes les saveurs. Et les croissants du petit déjeûner, trempés dans le café ou le chocolat chaud ? Au beurre sinon rien. Existeraient-t-il les caramels tendres au beurre d'Isigny, qui collent un peu aux dents ? Et la sauce au caramel de beurre salé, qui s'étale sur la crêpe bretonne et nous coule sur la langue avec volupté ?

barattebeurreLe brochet serait bien triste et fade sans son beurre blanc nantais. Que serait l'assiette de haricots verts sans le carré de beurre qui fond et ajoute sa douceur au croquant tiède des légumes ? Et les épinards ? Que seraient-ils sans leur légendaire lichette de beurre qui est devenue le symbole même de la chose agréable, qui fait manger le reste et de ce petit surplus de bien qui rend la vie plus douce ?

Et enfin, que serait sans le beurre la sublime purée de pomme de terre de Joël Robuchon, si onctueuse, tellement régressive, et qui ressemble à un péché ?

Péché ? J'ai bien dit péché ?

Oui, le beurre, qui met tant de douceur dans notre vie, est assimilé au péché. C'est mal vu d'aimer le beurre. Sa réputation est sulfureuse, comme sa couleur jaune. Diabolique, sa saveur délicieuse cacherait des propriétés maléfiques. Le beurre est considéré comme mauvais pour la santé, à cause des calories et du cholestérol, en un mot le beurre est gras, le beurre nous rend gras et comme son goût est délicieux, c'est encore pire !

Et cela ne date pas d'hier.

600px_Barattage_de_l_ocean_de_laitLe beurre est né à partir de la domestication des animaux d'élevage. La légende raconte que les cavaliers mongols transportaient le beurre dans une outre attachée à la selle de leur cheval. Durement secouées par les galops, les molécules de graisse finissaient par se transformer en beurre. C'est une légende et elle vaut ce qu'elle vaut.  Il est arrivé chez nous depuis les grandes invasions venues des steppes d'Asie centrale. Il s'est développé depuis l'Asie dans tout le nord de l'Europe. En Inde, au Tibet, il est considéré comme sacré. Un épisode de la mythologie Hindoue raconte le barattage de la mer de lait, par les dieux et démons associés, d'où naquirent les éléments de l'univers et la boisson d'immortalité.
Bas relief camboggien du XII° siècle, le barattage de l'océan de lait.
Photo Wikipedia,

Les tibétains modèlent d'immenses statues de beurre pour honorer les dieux et les esprits. Ces statues demandent des heures et des jours de minutieuse préparation et ensuite elles sont destinées à fondre, pour marquer l'impermanence de toute existence terrestre et nous rappeler de ne pas nous attacher à l'éphémère. Le beurre est lié au fugace, au périssable. Chez les tibétains c'est du beurre de Yack qu'il s'agit. On le consomme uniquement rance, ce qui n'est pas dans nos habitudes occidentales, mais c'est quand même le même produit à la base.

La carte de la consommation du beurre est liée à des facteurs géographiques, mais aussi religieux.

Elle est évidemment liée à celle de l'élevage, principalement bovin, bien que l'on produise aussi du beurre avec du lait de chèvre ou de brebis jusqu'en Afrique du Nord et au Moyen Orient.  Elle va de la Scandinavie jusqu'à l'Europe de l'est, couvrant les pays anglo saxons, le nord de la France, la hollande, la Suisse, l'Allemagne. Tandis qu'au bord de la méditerranée c'est l'huile d'olive qui est produite et donc la plus consommée. Ces habitudes de consommation sont bien ancrées et difficiles à changer, encore aujourd'hui. Malgré le battage publicitaire en faveur de l'huile d'olive et de la diète méditerranéenne, c'est toujours le beurre qui est la matière grasse la plus consommé au nord de la Loire. Il faut noter aussi que lorsque les immigrants arrivèrent en Amérique, en Australie, ou ailleurs, ils gardèrent dans leur nouvelle vie leur matière grasse d'origine comme ils gardèrent leur religion.

Mais ce qui est intéressant aussi à constater, c'est la quasi similitude entre la carte du beurre et celle de la religion réformée. En effet, les pays protestants sont des pays à beurre tandis que les pays catholiques sont des pays à huile. Même la France est coupée en deux avec cette configuration. Il y a toutefois quelques exception à cette règle : la Bretagne de tradition très catholique est un pays à beurre, et le Sud Ouest, un pays à graisse d'oie. Mais vous allez voir que ces exceptions confirment la règle.

On sait que la Réforme commença par la contestation du commerce des indulgences par l'Église Catholique. On pouvait, moyennant finance, se faire pardonner ses péchés ou bien s'assurer le droit de manger des choses normalement interdites pendant les jours maigres. Il y avait énormément de jours maigres, le Carême, l'Avent, tous les vendredis de la semaine et d'autres jours encore. On ne pouvait consommer ni viande, ni œufs, ni beurre. Ça ne rigolait pas ! L'huile état autorisée, ainsi que le poisson... et quelques gibiers d'eau. En Espagne il y eut même de grandes discussions de théologiens pour savoir si on avait le droit de consommer du chocolat durant le carême. Comme les évêques espagnols finirent par l'autoriser, les espagnols et surtout les espagnoles, restèrent catholiques, mais c'est une autre histoire.

La_tour_du_BeurrePar le trafic de ces dispenses, l'Église fit son beurre, c'est bien le cas de le dire : la Tour de Beurre de la cathédrale de Rouen ne tire pas son nom du fait qu'elle est située dans la capitale de la Normandie, mais parce que sa construction fut financée entièrement par les profits du trafic des dispenses de beurre.

La tour de beurre de la cathédrale de Rouen date du XVI° siècle et est une merveille de gothique flamboyant.

Lorsque Anne de Bretagne épousa le roi de France, elle reçu du pape un très beau cadeau de mariage : le droit, pour elle est les sujets du Duché de Bretagne, de manger du beurre durant le carême et tous les jours maigres. On comprend maintenant pourquoi le beurre coule à flots et sans complexes au delà du Couesnon ! A Spezet dans le Finistère, a lieu le premier dimanche après la Pentecôte le "Pardon au beurre", le dernier du genre, autrefois courants dans toute la Bretagne. La statue de Notre Dame du Krann est revêtue d'une cape couleur de beurre frais, on lui offre une immense motte de beurre sculptée qui était autrefois vendue aux enchères à la fin des vêpres.

Quant au Sud Ouest de la France, il ne fut pas toujours si catholique que cela, les cathares et aussi les juifs remontés d'Espagne après la Reconquista ne sont pas loin (je vous rappelle que le foie gras est une tradition juive à l'origine, mais c'est encore une autre histoire).

L'étude du rapport entre l'alimentation, pas seulement des matières grasses, et de la religion pourrait faire l'objet d'un livre entier. Qu'en est-il aujourd'hui, alors que le carême n'est plus obligatoire sous peine d'excommunication ?

A entendre le discours ambiant actuel, l'huile, surtout d'olive, est considérée comme bonne pour la santé. On nous vante le régime méditerranéen — (heu, donc catholique, alors ?) — comme étant le meilleur pour notre santé. Comme au bon vieux temps des indulgences, l'huile serait donc maigre ? Souvenez-vous, il n'y a pas si longtemps, une publicité nous vantait les mérites d'une huile de tournesol "légère, légère"... ce qui est aussi inepte que l'eau à 0%, car l'huile, quelle qu'elle soit, contient toujours 100 % de lipides (alors que le beurre n'en a que 82 %) ! Bref, cette huile de tournesol est maintenant démodée. De nos jours, c'est l'huile d'olive qui a la cote, et qui guérit de tout. Donc, en résumé, dans le discours officiel, le beurre est gras et l'huile est maigre. Irrationnel, quand tu nous tient.

Pieter_Bruegel

Breughel, le combat de Carnaval et de Carême.

Mais pourquoi ce discours illogique ? Est-ce vraiment de notre santé qu'on se préoccupe ?

Il existe en ce moment un programme de promotion des huiles d’olive en Europe, qui est mené (devinez donc) par l’Organisation Interprofessionnelle de l’Huile d’Olive espagnole (tiens, pourquoi pas française ou italienne ? Ah oui, l'Espagne est le plus gros producteur mondial d'huile d'olive, ne l'oublions pas), le Ministère de l’Environnement et Moyen Rural et Marin (MARM) et la Commission Européenne. Avec un budget supérieur à 16.5 millions d’euros, le Programme se déroule sur trois ans, d’octobre 2009 à octobre 2012, en Espagne, au Royaume-Uni, en France, en Belgique et en Hollande. L’objectif principal est d’accroître la consommation de l’huile d’olive sur ces différents marchés. A travers cette campagne, la grande tradition culturelle et culinaire déjà existante en Espagne, doit se développer dans les autres pays cités. Dixit le communiqué de presse.

Le "doit se développer" m'interpelle un peu. Doit. C'est un devoir ? Une obligation ? Sinon que se passerait-il ? La population de l'Europe septentrionale disparaîtrait ? Le directeur de la com' mourrait dans d'atroces souffrances, étouffé dans une motte de beurre ?

Avons nous changé depuis le temps lointain des indulgences ?

Réinventons-nous le carême ? La propagande religieuse du XVI°siècle prônait déjà l'huile d'olive et maudissait le beurre au niveau européen. Aujourd'hui c'est la propagande des producteurs d'huile, sous couvert d'allégations de nutrition et de santé, qui fait la même chose. Vous croyiez que c'était uniquement de notre espérance de vie que se préoccupaient ces braves gens ? Amusant, non ? Ne rigolez pas trop, c'est avec votre argent que ça se passe : vous payez pour la publicité de l'huile d'olive, et en plus vous achetez les bouteilles.

Et si vous êtes en bonne santé, ce que j'espère et je vous souhaite, et si voulez le rester : variez, alternez le beurre et les huiles d'olive, de noix, de noisette, amande, pistache, et d'autres, ne vous interdisez rien !

 

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Commentaires
B
bonsoir Marie-Claire,<br /> <br /> pour moi le beurre c'est de très agréables souvenirs d'enfance. Ma nounou était normande donc beurre salé et crème ont dorlotés mes papilles d'enfant. Le plus merveilleux des souvenirs c'est des œufs (frais ramassé du matin) à la coque avec des "mouillettes" (fines tranches de pain) au beurre salé. Plaisirs simples mais intemporels.<br /> <br /> Autres souvenirs d'enfance, mes origines Limousines. Étant originaire du sud du département de la Haute-Vienne limitrophe avec la Charente (autre région productrice de beurre AOC), les associations beurre et produits locaux sont nombreuses. Par exemples avec les "cagouilles" (escargots) mais aussi avec des fèves fraîches à la croque au sel, etc ............. QUE DU BONHEUR.<br /> <br /> À nous la diversification alimentaire, faisons nous plaisir et arrêtons de nous culpabiliser !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!<br /> <br /> *Patricia*
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M
[G]Patrick[/G] : je pense aussi que la christianisation tardive de la Bretagne a joué un rôle non négligeable dans sa culture alimentaire.<br /> [G]Anne et Nadine[/G] : pour l'huile d'olive, comme pour le vin et le reste, il faut bien choisir le producteur et ne pas s'arrêter à la première bouteille industrielle du supermarché du coin. Il existe de bonnes huiles d'olive espagnoles, française, italienne, mais il faut mettre du soin pour les choisir, et aussi le prix. L'huile "tout venant", la meilleure marché, par ailleurs suffisante pour la cuisson, est une huile "industrielle" espagnole, tandis que pour les salades ou les plats délicats, on choisira une bonne huile artisanale. Pour le vin c'est pareil : on ne boit pas le même dans un repas simple ou pour un repas de fête. Et pour le beurre le problème se pose aussi : il existe toutes sortes de qualités.<br /> On aime l'huile d'olive, la bonne, pour son goût excellent, qu'elle soit bonne ou mauvaise pour notre santé est un autre problème, elle n'est ni bonne ni mauvaise, c'est une matière grasse parmi d'autres dans notre alimentation.
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M
un beurre fermier, un pain au levain et une tranche de roquefort... miam comme tout il faut choisir le bon produit et le consommer avec modération
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N
[G]Chambiers[/G], dans le département où j'habite il y a de la vigne à perte de vue, pas de diversification et pas un brin d'herbe dans les vignes, est-ce pour autant que notre vin est mauvais ? Il y a de ça 20 ans je ne me serais pas engagée mais aujourd'hui je pense que notre vin en vaut bien d'autres. Beaucoup d'oliviers sont bi ou tricentenaire en Espagne, ils étaient donc là bien avant la production de masse. Maintenant, je ne dis pas non plus que l'huile d'olives y est bonne partout, ce serait malhonnête mais regardons aussi ce qui se passe chez nous[;)].
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C
La production de masse de l'huile d'olive espagnole ne doit pas être très recommandée pour notre santé.Il suffit pour s'en convaincre de circuler en Espagne particulièrement dans le sud. Des milliers d'hectares plantés, pas l'ombre d'une diversification, la monoculture à perte de vue et pas un brin d'herbe, la terre à nue! Drôle non? Enfin drôle surement pas pour nos santé...<br /> Merci Marie Claire<br /> Anne
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