Pourquoi est-il si difficile d'avoir une bonne tarte aux fruits dans un restaurant ? Les grands chefs les délaissent parce qu'elles ne sont plus dans l'air du temps, mais l'air, et le temps, c'est tellement volatile...


tartopeche

Quand le restaurant se veut chic ou branché, la vulgaire tarte ou tartelette aux fruits est jugée ringarde. Et quand le restaurant est simple ou campagnard, la tarte aux fruits, si par hasard il y en a une à la carte, ce qui est rare, est mal faite, ou de la veille, ou industrielle et surgelée.

Même dans des petits restaurants de campagne, des bistrots ou des brasseries, on trouve des desserts pompeux aux intitulés ronflants. Comme dans les grands restaurants, on doit les commander au début du repas car il faut un peu de temps, non pas pour les préparer, mais pour les décongeler. Ne rêvez-pas : ils sont  issus de l'agro-industrie. (Cette histoire quasi générale des surgelés présentés comme des plats "maison" dans les restaurants est d'ailleurs un grand scandale sur lequel je reviendrai un jour)...

Pas besoin d'être dans le secret des Dieux, il suffit de lire le journal "l'Hôtellerie" pour le savoir, et de simplement y regarder les publicités.  On peut aussi aller traîner dans les salons professionnels et se rendre compte qu'il n'est absolument pas nécessaire de savoir cuisiner pour ouvrir un restaurant, tant l'offre de plats tout prêts à réchauffer est pléthorique et alléchante. (Je parle ici des desserts, mais pour les plats salés c'est exactement la même chose). Dans plus de 70 % des restaurants (mais si, mais si : les industriels eux-mêmes revendiquent et se flattent de ce pourcentage),  la crème brûlée, l'île flottante, le moelleux ou coulant au chocolat,  la  généreuse jatte de mousse au chocolat, et je n'ose parler du fameux tiramisu tant il va y avoir de déconvenues — même si c'est précisé "maison"—  sont des produits purement industriels. Le gâteau opéra, le tiramisu, la panna cotta, les pots de crème, la crème fouettée et le sabayon du gratin de fruits sortent des usines de Nestlé, Lactalis, Elle & Vire, ou Andros, liste non exhaustive. Quand à la mignonne faisselle soi-disant amoureusement préparée à l'ancienne par le fermier du coin, nappée de son coulis de fruits rouges cueillis un à un, je vous le donne en mille, elle est fabriquée dans des énormes citernes et le coulis stérilisé UHT sort d'un sachet dont on doit couper l'angle avec des ciseaux avant de le verser. Il paraît que cela s'apprend dans les écoles hôtelières. Mais il suffit de rajouter la petite feuille de menthe, et hop ! on a le droit de l'appeler "maison".

Le summum est quand même la crème brûlée : en brique, il suffit de la réchauffer et de la verser dans les ramequins, elle prend toute seule au froid. Et pour la brûler, on verse dessus un sucre spécial, on vaporise un pchitt d'une substance inflammable. On approche une allumette, zou, ça flambe et le sucre est caramélisé en trois secondes. (Si vous vous demandiez pourquoi certaines crèmes brûlées ont un arrière goût d'allume-barbecue, vous avez la réponse).

Mais revenons à notre tarte aux fruits. Je suis injuste. Il y a de rares merveilleux établissements, pas forcément étoilés ni chers, où les chefs font la pâtisserie eux mêmes, et là c'est délicieux. Mais bien trop rare. Les étoilés, eux, ne proposent pas un dessert aussi trivial. Sauf chez Bocuse, qui depuis longtemps a tout compris. La tarte aux framboises  sur son buffet de dessert est un chef-d’œuvre. Mais on ne va pas tous les jours chez Bocuse. A part cela, les seules fois où j'ai dégusté de bonnes tartes, c'est dans certaines auberges en Alsace, ou en Allemagne, à la saison des mirabelles, des quetsches ou des abricots. Mais ce sont des contrées à forte tradition pâtissière et c'est l'exception qui confirme la règle.

Quand on trouve une tarte ou une tartelette au menu, bien trop souvent c'est ramolli, ça a traîné, c'est détrempé, c'est industriel avec trois tonnes de pseudo gelée pour faire briller. Parfois c'est du surgelé passé rapidement au micro ondes, c'est médiocre, pâte apathique, épaisse et caoutchouteuse, sans la moindre trace de beurre, fruits flasques et sans goût, ou cuits au sirop et trop sucrés.

tartopoire

Pas plus tard que cette semaine, j'en ai dégusté une dans le petit restaurant Nord Mayenne, à Gennevilliers — ou est-ce sur Asnières—, un petit bijou de bistrot, avec un patron à belles moustaches très sympathique, une bavette saignante cerclée de frites et de béarnaise, un tartare coupé gros et bien assaisonné, une belle Morteau blottie sur des pommes de terre, quelques plats du jour sincères et des jolis desserts faits maison : clafouti aux prunes, riz au lait, ou tarte aux poires. Ouf, pas de croustimoelleux au caramel de l'Himalaya et son coulis de youzou au sucre pétillant, non, rien que du loyal, de l'authentique. Avé l'assent (de la Mayenne). La tarte aux poires présentait bien. Jolie couleur d'une crème aux œufs à peine caramélisée en surface comme un bon flan de famille, et au bon goût de crème, belles poires ne sortant pas d'une boîte. Cela commence bien. Hélas, le détail qui gâche tout : la pâte. Une pâte feuilletée achetée toute faite avait perdu tout son entrain après deux heures d'attente sous une garniture. Mais c'est ainsi, la meilleure des pâtes feuilletées doit être servie au sortir du four, ou presque. Si elle attend sous des fruits ou de la crème, elle devient un genre de parchemin mollasson et avachi. Celle-là ne dérogeait pas à la règle. Dommage, parce qu'une simple pâte brisée eût tenu le coup sans peine !

Mais bon sang, c'est pas difficile de faire une tarte aux fruits correcte : une bonne pâte, et des fruits posés dessus, un voile de sucre, c'est passé au four avant le repas, et on n'a plus qu'à la découper !

Je me venge donc aujourd'hui avec une tarte aux pêches et aux pignons mirifiquement simple, qui est en photo en haut de ce billet. On peut aussi la faire avec des nectarines. Les ingrédients ?  La pâte, les fruits, le sucre. Eventuellement une poignée de poudre d'amandes pour les fruits juteux. Point à la ligne. Et on obtient le meilleur dessert du monde.

La recette dans le prochain billet. On ne va pas se laisser faire, non mais.