Je souhaite revenir aujourd'hui sur mon précédent billet, au sujet de l'amendement Siré voté lundi 3 octobre par les députés, qui obligera désormais les restaurateurs à indiquer sur leur carte si le plat est ou non élaboré à base de produits frais. Vous avez été nombreux, chers lecteurs, à commenter ce billet. Ce dont je vous remercie, votre intérêt me fait plaisir. J'ai  toutefois remarqué que plusieurs commentaires semblent répondre à côté du problème, et je me demande si mon billet était assez clairement rédigé. Aussi, plutôt que de répondre dans la suite des commentaires,  il me semble mieux de vous faire une réponse par ce second billet.

Il ne s'agit pas de faire le procès des surgelés. Je suis d'accord avec vous : on peut faire de la mauvaise cuisine avec des produits frais et de la bonne avec des surgelés. J'ai moi-même un congélateur et j'utilise des surgelés. La surgélation est un excellent moyen de conservation, qui préserve les saveurs, et dans certains cas, par exemple pour le poisson servi cru, elle assure une qualité sanitaire optimum.

Je ne conteste pas que les surgelés ou autres produits appertisés, les crèmes toutes faites, les sauces en poudre, etc, facilitent la mise en place, l'organisation de la cuisine, et permette aux cuisiniers de travailler moins d'heures. Je ne conteste pas que la charge de travail s'en touve allégée pour tout le monde. S'il y a quelqu'un qui sait que les 35 heures ne représentent que 3 jours  de travail dans le monde de l'Hôtellerie-restauration, c'est bien moi !

Le problème est simplement celui de l'affichage de la provenance des denrées.  Seuls 20 % des restaurants, environ, font la cuisine dans leur établissement à partir de produits bruts frais, les 80 % restants servent des plats d'origine industrielle. Maintenant le client saura, en regardant la carte, dans quelle catégorie se situe l'établissement dans lequel il est attablé. Et il pourra choisir en toute connaissance de cause.

Il ne sera aucunement interdit au restaurateur de se servir de produits surgelés, ni des plats en barquette sous vide qu'il aura simplement réchauffé au four à micro-ondes et disposées dans une assiette. Il pourra parfaitement continuer à les utiliser comme auparavant, mais il devra LE DIRE, contrairement au système actuel, où un plat acheté tout fait chez un grossiste peut être servi avec l'appellation "maison", ou " recette du chef". D'ailleurs un même établissement pourra proposer sur la même carte des plats industriels et des plats maison. Mais ce sera écrit noir sur blanc.

Evidemment cela ne fera pas plaisir à tout le monde : la main mise de l'industrie agro-alimentaire sur la restauration étant colossale, vous n'imaginez pas à quel point. Même dans la formation des cuisiniers. Bertrand Simon, professeur de Cuisine à Lille, qui faisait partie d'une délégation de professionnels présente au sénat le 4 octobre, le déplore. Main mise sur le contenu de la formation avec des interventions dans les écoles, et aussi sur l'apprentissage lui-même : les apprentis qui travaillent dans ces restaurants où l'on se contente de réchauffer les plats industriels  (il y en a 80% !) n'apprennent pas véritablement à faire la cuisine comme nous le concevons vous et moi, ni même comme c'est expliqué dans Masterchef ! C'est donc un système qui s'entretient lui-même dans la plus grande obscurité et la confusion des consommateurs !

L'affichage  de la provenance des produits ne peut qu'être bénéfique pour les chefs qui font la cuisine eux-mêmes, qui cherchent à proposer des menus d'un bon rapport qualité-prix, et qui pour l'instant sont mis dans le même panier de malhonnêteté que ceux qui vous servent du Nestlé ou du Fleury Michon. On pourra enfin comparer ce qui est comparable !

Je ne sais pas, vous, mais moi personnellement, il me plait de savoir si la blanquette ou le saumon à l'oseille qu'on me sert en plat du jour sont fabriqués par le chef dans sa cuisine, ou par Unilever-food dans une usine, surtout quand c'est facturé au prix du veau sous la mère ou du saumon d'Ecosse pêché à la ligne ! Pardonnez-moi, mais ce n'est pas pareil.

Evidemment, les restaurateurs-réchauffeurs de barquettes ne pouront plus facturer comme aujourd'hui la nourriture industrielle au prix du frais, puisque les clients seront au courant de la provenance. Alors on comprend leur immense agacement. Les autres, ceux qui cuisinent avec leurs mains, ont absolument tout à gagner dans cette histoire !