Le meilleur restaurant chinois de France (et de Navarre) est à Bordeaux
Bordeaux est une belle ville, connue pour son architecture du XVIII° siècle qui vaut vraiment le détour. On y rencontre aussi des choses amusantes, comme ce vélocipède avec porte bagage original, où voit-on cela ailleurs ? Cette ville n'est pas spécialement réputée pour ses restaurants asiatiques. Et pourtant.
Et pourtant c'est là qu'au détour d'une petite rue du centre ville, au bonheur du palais, officient les frères Shan, des magiciens de saveurs. Oubliez tout ce que vous savez sur la cuisine chinoise. Attendez-vous à une grande claque, un coup au coeur et aux papilles, tenez vous bien à votre siège car on largue les amarres pour un grand voyage et ça va tanguer dans les jonques ! Ce n'est pas un restaurant où vous mangerez des nems, des pâtés impériaux ou des beignets de crevettes à la sauce aigre douce. N'y cherchez pas non plus du canard à l'ananas en conserve, un riz cantonais ou un buffet à volonté avec des trucs industriels réchauffés. Non, c'est de la vraie cuisine chinoise de la province du Sichuan, vous savez, c'est là d'où vient ce poivre si parfumé qui vous picote les papilles puis les anesthésie et les rend littéralement euphoriques.
Ce n'est pas grand, une vingtaine de places. Surtout il faut réserver ! C'est ouvert seulement le soir. Pas de tape à l'oeil, ni à l'extérieur, ni dans la salle au décor sobre et élégant.
L'accueil est spécialement adorable. Tommy Shan vient s'assoir à la table et vous explique le menu et, encore mieux : le choisit avec vous après vous avoir interrogé sur vos goûts et vos préférences. C'est ainsi que vous vous retrouvez avec 8 plats au lieu de 6 dans le menu dégustation, "pour vous faire découvrir".
Le prix du menu complet n'est pas non plus celui d'un buffet à 10 euros, mais pour un restaurant gastronomique de cette qualité-là, c'est tout à fait raisonnable ! Les plats réalisés avec des ingrédients frais et de grande qualité sont servis avec du riz blanc, qui est renouvelé au cours du repas.
Mes photos prises à l'iphone dans la lumière tamisée ne rendent pas du tout hommage à la succulence des saveurs. Les plats sont apportés en deux services. D'abord les 5 entrées toutes en même temps, puis les 3 plats. Et tout va crescendo ! Les saveurs sont très recherchées, le salé, le sucré, l'acide et l'amer, mais aussi le frais, le piquant et le fade, s'entremèlent avec virtuosité. Et j'oubliais de mentionner le fermenté. Il y en a beaucoup dans cette cuisine, comme c'est le cas dans toutes les cuisines nobles et élaborées. Nous avons goûté par exemple un boeuf saumuré admirable. Les assaisonnements, pâtes de soja ou de piment, huiles parfumées, et le fameux poivre anesthésiant, nous emportent dans un voyage gustatif dont on ne revient pas indemne.
Ci-dessus c'est le poulet à la crème de sésame bang bang. Le poulet est d'une tendresse merveilleuse (oui, j'ai bien dit exprès tendresse et non pas tendreté, ce n'est pas une faute de français, parce qu'il y a certes de la tendreté, mais aussi de la tendresse dans ce poulet) et la sauce au sésame... elle explose. On est là à piocher avec nos baguettes dans tous les plats, on lève les yeux au ciel, on se concentre sur ce qu'on a dans la bouche, et on fait des ooooh, et des mmmm de ravissement. On savoure notre plaisir et ensuite on essaie d'analyser pourquoi ça nous fait cet effet-là et alors on réalise que les contigences de la vie nous semblent devenues lointaines.
Le porc à la pâte de piment, bien relevé mais sans jamais emporter la bouche...Tous les plats ont des saveurs complètement différentes. C'est difficilement racontable, on ne mettrait que des exclamations, mais c'est un vrai périple enchanté à la fois dans le connu et l'inconnu. À chaque plat une nouveauté, un peu de piquant, un peu d'acidulé, un peu de sucré, du mou, du croquant...
Pour conclure je dirais que c'est une cuisine cultivée, voire lettrée, dans le sens qu'elle a été élaborée depuis des générations. Les mélanges et les arômes ne sont pas déterminés par le hasard ou pas la fantaisie du cuisinier mais par son savoir-faire, ce qui est différent. C'est étudié, réfléchi, ça a fait ses preuves et si c'est si bon, c'est parce que c'est anthropologiquement bon. Ça correspond à quelque chose de profond, d'enraciné comme un arbre. D'ailleurs c'est une cuisine familiale qui s'appuie sur les recettes de la mère des deux frères Shan qui, paraît-il, est une encyclopédie de la cuisine sichuanaise.
Côté vins, c'est aussi à la hauteur. Nous avons bu un excellent gewürztraminer qui, comme son nom l'indique, aime les épices ! (Gewürz signifie épice en allemand.) Je sais qu'on ne va pas à Bordeaux pour boire du gewurztraminer, mais dans ce cas précis, si.
Le dessert ? On ne va pas au restaurant chinois pour manger un dessert ? Ah mais cependant il était bon, le dessert ! Un vacherin à la mangue. J'ai hâte de retourner à Bordeaux !
Au bonheur du palais
72-74 rue Paul-Louis-Lande
33 000 Bordeaux
05 56 94 38 63