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du miel et du sel
23 juillet 2014

Le fait maison au restaurant : comment le débat est dévié

Ça y est, la loi oblige maintenant les restaurateurs à indiquer sur leur carte si les plats sont faits maison ou non. Enfin ! Auparavant, un cuisinier qui achetait sa blanquette en sachet sous vide ou congelé  et se contentait de la réchauffer et d'ajouter une pluche de persil sur l'assiette pouvait prétendre qu'il avait tout fait lui-même. Maintenant ce mensonge est interdit par la loi.

logofaitmaison

Pour voir le guide du fait maison édité par le ministère, cliquez sur l'image ci-dessus.

Cependant, étrangement celle loi est critiquée, et pas seulement par les industriels et les restaurateurs qui sont leurs clients. On comprend que ceux-ci soient mécontents : on ne pourra plus vendre des produits industriels comme des plats mijotés sur place, ils ne pourront plus nous mentir à ce sujet. C'est toujours un mensonge de moins ! Mais pourquoi les amateurs de cuisine fraîche et aussi les professionnels qui la concoctent, sont ils mécontents ? On en voit plein qui s'offusquent, qui s'attristent, qui prennent le deuil, j'avoue que j'ai du mal à comprendre cette réaction.

La loi précise que les plats doivent être réalisés sur place, avec des produits bruts. C'est bien ce qu'on demandait à cette loi, non ? Là où le bât en blesse certains, c'est dans la définition des produits bruts, parce que sont admis, en plus des produits frais, les produits surgelés ou en conserve, ou sous vide, pourvu qu'ils soient bruts, évidemment, donc non travaillés. Par contre ils peuvent être épluchés et coupés pour les légumes, ou désossés pour les viandes. (Mais un cuisinier est-il un boucher ? non, chacun son métier.) Pour les fonds et fumets tout prêts, ils sont autorisés dans le plat maison mais il faudra en informer le consommateur. C'est tout ce qu'on demande.

Le problème de la provenance des produits

Ce qu'on reproche à la loi, c'est qu'il y aura le même logo pour un restaurateur qui cuisine des coquilles saint Jacques surgelées du Pacifique dans un fumet élaboré avec du concentré, des asperges du Chili achetées congelées et épluchées, et un autre restaurateur qui va chercher ses coquilles saint Jacques fraîches et dans leurs coquilles chez le poissonnier, fait son fumet avec des têtes de poissons et achète ses asperges cueillies du matin même au petit maraîcher du coin. Pas de distinction entre ces deux catégories de qualités différentes : elles auront le même logo.

Mais cette loi n'est pas là pour déterminer la provenance des produits, s'ils viennent de près ou le loin, ni leur méthode de conservation, s'ils sont surgelés, sous vide ou frais, elle sert uniquement à distinguer si la cuisine est faite dans le restaurant ou pas !

Le problème de la congélation

Et de même le problème des surgelés, face aux produits frais, c'est un AUTRE problème, qu'il ne faut pas confondre avec celui-là. Du moment que le restaurateur utilise un produit brut, il est dans la loi, même si ce n'est pas un produit frais. Un produit surgelé peut-il être de qualité ? Oui. Les industriels ont intérêt à ce qu'on confonde ces deux choses différentes, pour brouiller les cartes et pour qu'on revienne sur cette indispensable loi. Ils ont voulu dévier le problème sur les surgelés en s'offusquant : comment, on veut nous interdire d'utiliser des surgelés ! Mais c'est pas possible ! etc... Non, le problème n'était pas celui des surgelés. (Un cuisinier peut parfaitement faire une préparation de A à Z puis la surgeler. D'ailleurs la surgélation est parfois indispensable en pâtisserie pour réaliser certains entremets. La question n'est pas là). Le problème était celui du mensonge au sujet des plats achetés tout prêts. C'était un problème de tromperie, pas de technique de conservation.

Le problème économique

Vous savez ce qui était le pire dans ces mensonges ? C'est que les restaurateurs qui achetaient les plats tout prêts à réchauffer au micro ondes, nous les vendaient au même prix que les autres, au même prix que le fait maison. N'oublions pas qu'ils achètent ces barquettes en paquets de 5 kilos à des prix dérisoires, que de plus ils ont moins de personnel, et donc ils dégagent des marges énormes. Alors que le chef cuisinier, le vrai cuisinier qui va au marché, qui fait tout lui-même et est obligé de payer le salaire et les charges d'un commis, et a de la peine à survivre car ses marges sont rabotées au plus juste.

Désormais il ne sera plus normal d'avoir au même prix le fait maison et l'industriel. Le client pourra enfin comparer ce qui est comparable ! C'est pourquoi je ne comprends pas les vrais cuisiniers qui s'offusquent puisque la loi les soutient et va dans leur sens.

Comparer ce qui est comparable

Avant, voilà comment on vous mentait : Vous mangiez AU PRIX DU FRAIS des plats industriels dans des sauces industrielles réchauffés au micro-onde et on vous jurait croix de bois croix de fer qu'on l'avait cuisiné dans une cocotte en fonte.

Par exemple, vous avez choisi l'alléchant «trésor de pintade farci aux cèpes, bolets et foies de volailles», dont on vous assure que la pintade vient d'une ferme et qu'on est allé soi-même à la cueillette des champignons en se levant à 4 heures du matin. Eh bien, en réalité le chef l'a acheté en caissette de 3, 5 kilos à réchauffer 30 minutes au bain marie.  Si vous ne me croyez pas, c'est là : CLIC.

Mais les desserts, me direz vous encore, ils sont faits maison, les desserts. Vous choisissez toujours le tiramisu ou la crème brûlée qu'on vous apporte dans un petit ramequin mignon en vous assurant que c'est la recette élaborée par le chef, même que parfois elle change de parfum, une fois au citron, une fois aux spéculos, une autre fois au yuzu. Mais non, le chef en question a simplement coupé le coin de la brique avec des ciseaux et versé le machin dans le ramequin avant de passer le chalumeau (oui, il faut quand même passer le chalumeau pour la crème brûlée, mais pour le tiramisu (clic) on a seulement besoin de fouetter). On verse, on fait prendre au frigo, et c'est prêt. En plus c'est économique, car en fouettant, ça double de volume : on peut faire des grosse portions avec plein d'air dedans, c'est plus rentable, merci monsieur Lactalis. Et le cheesecake, ça c'est maison quand même ! Que nenni. Vous voulez savoir comment il est fait le cheesecake du chef du petit resto du coin de la rue ? Eh bien voici la recette : 2 minutes de préparation, 2 heures au froid. C'est pas avec ça qu'il transpire, le chef.

Cliquez sur les images pour les voir plus grandes. Ne lisez pas la composition, ça ne va pas forcément vous plaire.

cheesecake1

cheesecake2

Depuis le 15 juillet, faire ça sans le dire, c'est interdit. Non, ce n'est pas le produit en lui-même qui sera interdit ! Il sera parfaitement autorisé que le restaurateur l'utilise. Seulement il devra le marquer sur la carte. Et c'est tant mieux ! Et c'est donc le client qui aura le dernier mot, qui choisira. Ce n'est pas parce qu'ils vont l'indiquer que les clients vont déserter du jour au lendemain leurs établissements : il y a bien toujours des clients chez Flunch et chez Mac Do, parce que ce n'est pas cher et pourtant tout le monde sait que c'est industriel ! On peut très bien préférer manger dans un restaurant parce qu'il est près de son travail, par exemple, qui ne peut pas réaliser ses desserts lui-même par manque de moyens pour embaucher, ou autre raison, pourquoi stigmatiser ?  Du moment qu'on le sait. Qu'on ne nous mente plus !

Certains vont me rétorquer que les plats industriels sont de bonne qualité et qu'on ne voit même pas la différence. Oui, ils ont raison, ces conserves professionnelles sont de très bonne qualité. Mais le problème est justement là : un palais non averti ne voit pas la différence. Mais on veut SAVOIR ce qu'on mange. Qu'on ne nous mente plus ! Qu'on nous dise d'où ça vient en RÉALITÉ. Après, c'est nous les consommateurs qui jugerons si ça nous plaît ou non, si c'est de bonne qualité ou non, si on veut manger là puisque le goût nous plaît, ou si on préfère aller manger ailleurs parce qu'on juge que, quand même, les prix pratiqués sont énormes par rapport à la qualité.

Bien sûr cela devra être contrôlé, on espère que les services compétents feront leur travail.

Après rien n'empêche de faire un autre label dans la même veine, sur la provenance et la fraîcheur des produits. Et d'ailleurs pour l'usage des produits frais, c'est le titre de "maître restaurateur" qui est là pour l'assurer.  Chaque chose en son temps, chaque chose à sa place et on ne mélangera plus les torchons et les serviettes.

 

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Commentaires
A
J'avais vu une émission à la télévision mais ton article est beaucoup plus précis. Merci et amicales bises.
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N
Bonjour,<br /> <br /> <br /> <br /> Je salue aussi ce genre de loi, mais n'aurait-il pas été plus simple d'obliger aux restaurateurs de signaler les plats industriels ou surgelés? La poids de la preuve et la charge de travail reviendrait ainsi à ceux qui utilisent la cuisine industrielle, plutôt qu'à ceux qui travaillent déjà beaucoup plus en proposant du vrai fait maison...
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A
Merci Frédérique. Enfin...
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S
merci pour cet éclairage.<br /> <br /> On va chasser la petite maison.
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_
Exact : on peut très bien manger un excellent repas non fait maison, et un autre complètement raté mais fait maison. Ça n'a rien à voir avec la qualité.
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