La gastronomie moléculaire n'est pas ce que vous croyez
Joyeux anniversaire !
Le 20 mars dernier, la gastronomie moléculaire fêtait ses 20 ans, au cours d'un séminaire extraordinaire qui eut lieu à l'École Supérieure de Cuisine Française Grégoire Ferrandi.
Cet hommage à Antonin Carême et aux repas d'antan est présentée à l'École Ferrandi
Vous avez dit gastronomie moléculaire ? Comme c'est étrange...
Je ne suis pas scientifique, mais je suis curieuse. Une journée où j'ai appris quelque chose est pour moi une très bonne journée, quand je m'endors le soir avec un peu plus de richesse intérieure, je sais que je n'ai pas perdu mon temps. Ma curiosité s'est un jour portée vers cette étrange et nouvelle discipline de la science.
Le programme de la gastronomie moléculaire est d'explorer trois domaines:
Les définitions et les précisions culinaires que sont les recettes et les dictons. Ces dictons dont on ne connaît souvent pas l'origine, font partie de l'Histoire. Nous avons eu une présentation passionnante de l'historienne Danièle Alexandre Bidon, au sujet de la précision dans les recettes médiévales, qui sont , contrairement à ce que l'on pense généralement, d'une grande rigueur au sujet des quantités et des temps de cuisson.
La composante artistique de la cuisine: l'objet culinaire doit avant tout être « bon ». La science doit donc étudier ce « bon goût ». Toute œuvre d'art produit une émotion: la cuisine n'y échappe pas, elle produit des tas d'émotions. Personnellement, j'ignore comment la science va étudier cette composante émotionnelle. Mais, on étudie bien scientifiquement la Joconde ou le requiem de Mozart, alors pourquoi pas la poularde aux morilles ou un destructuré de cuisses de grenouilles aux perles de persil ?
Et enfin la composante sociale : la cuisine, c'est de l'amour, de l'argent, du pouvoir. Un même plat mangé seul ou en groupe n'a pas le même goût. Il est toujours plus apprécié en groupe : que se passe-t-il donc dans notre cerveau lorsque nous mangeons ?
Des phénomènes dans nos casseroles
Je ne vais pas vous faire un cours sur cette discipline
scientifique, née lorsque Hervé This (sur la photo ci-contre) eut
l'idée d'étudier les phénomènes culinaires par une méthode
expérimentale. Il suffit de se reporter à cette page de Wikipedia, ou de consulter le site de Science et Gastronomie pour avoir tous les renseignements nécessaires.
Je vais juste évoquer les quelques réflexions que j'ai pu tirer de cette intéressante journée passée dans un amphi d'une école de cuisine.
La gastronomie moléculaire étudie donc les phénomènes insoupçonnés qui se produisent dans nos casseroles, nos poêles et sous nos fouets et cuillères en bois.
Ne confondons pas la gastronomie et la cuisine moléculaires : la première est une science, dont l'application est la cuisine moléculaire.
En entendant ce mot barbare certains sortent leur rouleau à pâtisserie
pour frapper tout ce qui bouge. On imagine des tas d'additifs
alimentaires. Des alginates pour faire des « sphérifications» de
concombre ou des spaghettis de parmesan. De la lécithine pour des
écumes et des mousses. Des carraghénanes pour faire des gelées. De
l'azote liquide pour des sorbets étranges. Des arômes, des colorants
... Bref on s'imagine dans sa cuisine à manier des éprouvettes et des
tubes, et on se dit avec une note d'inquiétude : mais qu'allons nous
manger demain ?
Certes ces choses-là sont rigolotes et de grands créateurs comme Pierre Gagnaire ou Ferran Adria
en tirent des plats époustouflants, mais nous dans notre petite
cuisine, entre notre frigo et notre plaque de cuisson, nous qui ne
possédons qu'une cuillère en bois, un fouet, quelques casseroles et des
moules à pâtisserie, à quoi peut nous servir la cuisine moléculaire ?
Mais à quoi ça sert ?
À
partir des connaissances scientifiques dégagées, on peut comprendre
comment fonctionnent les divers processus de cuisson, mélanges,
procédés, interactions des ingrédients entre eux, etc. Et par la même
occasion se détacher des idées reçues inutiles, ou au contraire
expliquer pourquoi certains trucs de grand-mère fonctionnent
parfaitement... Elle permet aussi d'éliminer des recettes toutes les
précisions superflues, ou au contraire de privilégier les
renseignements absolument nécessaires pour réussir.
C'est ainsi
que nous apprenons que la pincée de sel ajoutée dans les blancs d'œufs
en neige ne les fait pas monter plus vite ni plus fermes. Et par dessus
le marché, nous comprenons pourquoi et comment c'est ainsi. En
comprenant le principe de la mayonnaise, qui est une émulsion, on
constate qu'il n'est pas obligatoire que les ingrédients soient tous à
la même températures. Et on essaie de la faire avec seulement du
blanc d'œuf ou un œuf entier... Et sous nos yeux ébahis, elle monte,
la mayo !
On arrive également, en comprenant comment est faite la chantilly, à préparer une chantilly avec du chocolat comme unique ingrédient: une mousse 100 % chocolat, oui, c'est possible !
On apprend surtout avec une certaine satisfaction intérieure que le
risotto a plus de goût si l'on ajoute le bouillon peu à peu et que la
salade de pommes de terre est meilleure lorsque la vinaigrette est
mélangée aux pommes de terre chaudes. En quand on nous démontre que le
confit de canard n'absorbe pas la graisse qui l'entoure, là, on est aux
anges !
On peut s'amuser encore de l'extrême précision dans la
cuisson d'un œuf, selon le résultat que l'on veut obtenir. Sur cette
photo, on peut voir trois œufs qui ont été cuits pendant 1 heure, à
seulement trois degrés d'écart. La gastronomie moléculaire
vous expliquera que les protéines ne coagulent pas toutes à la même
température, et même elle vous dira le nom de ces protéines. Mais la cuisine moléculaire retiendra avant tout le résultat pratique pour vos recettes :
Le premier à 62°C : le blanc est mou et le jaune est cru.
Le second à 65°C : le blanc est coagulé et le jaune est mollet.
Le troisième à 68°C : le blanc est dur et le jaune est ferme.
Je vous donne tous ces exemples, pour montrer comment l'on peut vraiment s'amuser en cuisine avec des ingrédients de tous les jours et du matériel qui n'est pas venu d'un laboratoire d'extra terrestre.
Et en exemple concret, voici une belle recette qui va certainement vous plaire.
A demain, si vous le voulez bien.
Vous trouverez ici un reportage complet de cette journée, avec de belles photos panoramiques.