La vie amoureuse des fruits
Attention, c'est torride, surtout à la fin !
« La Sarriette était adorable, au milieu de ses fruits, avec son débraillé de belle fille. Ses cheveux frisottants lui tombaient sur le front, comme des pampres. Ses bras nus, son cou nu, tout ce qu’elle montrait de nu et de rose avait une fraîcheur de pêche et de cerise. Elle s’était pendu par gaminerie des guignes aux oreilles, des guignes noires qui sautaient sur ses joues, quand elle se penchait, toute sonore de rires. Ce qui l’amusait si fort, c’était qu’elle mangeait des groseilles, et qu’elle les mangeait à s’en barbouiller la bouche, jusqu’au menton et jusqu’au nez ; elle avait la bouche rouge, une bouche maquillée, fraîche du jus des groseilles, comme peinte et parfumée de quelque fard du sérail. Une odeur de prune montait de ses jupes. Son fichu mal noué sentait la fraise.
Et, dans l’étroite boutique, autour d’elle, les fruits s’entassaient. Derrière, le long des étagères, il y avait des files de melons, des cantaloups couturés de verrues, des maraîchers aux guipures grises, des culs-de-singe avec leurs bosses nues. A l’étalage, les beaux fruits, délicatement parés dans des paniers, avaient des rondeurs de joues qui se cachent, des faces de belles enfants entrevues à demi sous un rideau de feuilles ; les pêches surtout, les Montreuil rougissantes, de peau fine et claire comme des filles du Nord, et les pêches du Midi, jaunes et brûlées, ayant le hâle des filles de Provence. Les abricots prenaient sur la mousse des tons d’ambre, ces chaleurs de coucher de soleil qui chauffent la nuque des brunes, à l’endroit où frisent de petits cheveux.
Les cerises, rangées une à une, ressemblaient à des lèvres trop étroites de Chinoise qui souriaient : les Montmorency, lèvres trapues de femme grasse ; les Anglaises, plus allongées et plus graves ; les guignes, chair commune, noire, meurtrie de baisers ; les bigarreaux, tachés de blanc et de rose, au rire à la fois joyeux et fâché. Les pommes, les poires s’empilaient, avec des régularités d’architecture, faisant des pyramides, montrant des rougeurs de seins naissants, des épaules et des hanches dorées, toute une nudité discrète, au milieu des brins de fougère ; elles étaient de peaux différentes, les pommes d’api au berceau, les rambourgs avachies, les calvilles en robe blanche, les canadas sanguines, les châtaigniers couperosées, les reinettes blondes, piquées de rousseur ; puis, les variétés des poires, la blanquette, l’Angleterre, les beurrés, les messire-jean, les duchesses, trapues, allongées, avec des cous de cygne ou des épaules apoplectiques, les ventres jaunes et verts, relevés d’une pointe de carmin.
A côté, les prunes transparentes montraient des douceurs chlorotiques de vierge ; les reines-claudes, les prunes de monsieur, étaient pâlies d’une fleur d’innocence ; les mirabelles s’égrenaient comme les perles d’or d’un rosaire, oublié dans une boîte avec des bâtons de vanille. Et les fraises, elles aussi, exhalaient un parfum frais, un parfum de jeunesse, les petites surtout, celles qu’on cueille dans les bois, plus encore que les grosses fraises de jardin, qui sentent la fadeur des arrosoirs. Les framboises ajoutaient un bouquet à cette odeur pure. Les groseilles, les cassis, les noisettes, riaient avec des mines délurées ; pendant que des corbeilles de raisins, des grappes lourdes, chargées d’ivresse, se pâmaient au bord de l’osier, en laissant retomber leurs grains roussis par les voluptés trop chaudes du soleil.
La Sarriette vivait là, comme dans un verger, avec des griseries d’odeurs. Les fruits à bas prix, les cerises, les prunes, les fraises, entassés devant elle sur des paniers plats, garnis de papier, se meurtrissaient, tachaient l’étalage de jus, d’un jus fort qui fumait dans la chaleur. Elle sentait aussi la tête lui tourner, en juillet, par les après-midi brûlantes, lorsque les melons l’entouraient d’une puissante vapeur de musc. Alors, ivre, montrant plus de chair sous son fichu, à peine mûre et toute fraîche de printemps, elle tentait la bouche, elle inspirait des envies de maraude. C’était elle, c’étaient ses bras, c’était son cou, qui donnaient à ses fruits cette vie amoureuse, cette tiédeur satinée de femme. Sur le banc de vente, à côté, une vieille marchande, une ivrognesse affreuse, n’étalait que des pommes ridées, des poires pendantes comme des seins vides, des abricots cadavéreux, d’un jaune infâme de sorcière. Mais, elle, faisait de son étalage une grande volupté nue. Ses lèvres avaient posé là une à une les cerises, des baisers rouges ; elle laissait tomber de son corsage les pêches soyeuses ; elle fournissait aux prunes sa peau la plus tendre, la peau de ses tempes, celle de son menton, celles des coins de sa bouche ; elle laissait couler un peu de son sang rouge dans les veines des groseilles. Ses ardeurs de belle fille mettaient en rut ces fruits de la terre, toutes ces semences, dont les amours s’achevaient sur un lit de feuilles, au fond des alcôves tendues de mousse des petits paniers. Derrière sa boutique, l’allée aux fleurs avait une senteur fade, auprès de l’arôme de vie qui sortait de ses corbeilles entamées et de ses vêtements défaits. »
Je sais, c'est un peu long à lire.
Je n'ai pas pu résister.
Cet extrait du "Ventre de Paris", d' Émile Zola
est d'une sensualité , d'une tendresse... à vous donner aussitôt envie
de caresser la peau d'une pêche, de mordre une fraise ou de croquer
une cerise
C'est, à mon sens, la plus belle
publicité pour les fruits que l'on puisse imaginer. Qu'ils en prennent de la
graine, les prêcheurs des 5 fruits et légumes par jour.
Si cela vous émoustille, rendez vous dans quelques jours autour d'une charlotte aux fraises, jolie, fruitée, mousseuse, crémeuse, légère et parfumée.