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du miel et du sel
5 janvier 2009

Le roi boit : le retour au Temps

Douze jours séparent Noël de l'Épiphanie. Ces jours correspondent au décalage entre l'année lunaire et l'année solaire, ils n'appartiennent ni à l'une ni à l'autre : ils sont donc hors du temps.

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L'adoration des mages, Pieter Brueghel l'ancien, 1525-1569

L’Epiphanie a été placée à cette date par l’église pour contrecarrer les anciennes célébrations païennes. Cette fête célèbre la manifestation de Jésus dans le monde : il s'est manifesté la première fois aux rois mages. Jusqu'au IV° siècle, elle se confondait avec la nativité. Encore aujourd'hui dans de nombreux pays, c'est ce jour là et non pas le 25 décembre que les enfants reçoivent leurs cadeaux.

Qu'est ce que la galette et la fève viennent faire dans la manifestation divine ?

Le roi de la fève et de la galette n'a rien à voir avec les rois mages. La galette ou la brioche en couronne que nous partageons ce jour-là est avant tout, par sa forme ronde et sa couleur dorée, un symbole solaire pour célébrer les jours qui rallongent et le retour de la belle saison, cette victoire cyclique de la vie sur la mort.

Au cours des Saturnales chez les romains, ou de l’Akitu chez les assyro-babyloniens, on tirait au sort un roi bouffon qui possédait l'autorité suprême le temps de la fête. Les barrières sociales et sexuelles étaient abolies, tout le monde se retrouvait sur un pied d'égalité. Parfois le roi en question était choisi parmi les condamnés à mort, et il était exécuté à l’issue de la fête. On comprend les efforts de l'Église pour abolir ces réjouissances qui se terminaient souvent en orgies débridées...

La nourriture tient une grande place dans ces célébrations. On retrouve partout ces trois idées : le partage, le tirage au sort et les pratiques magiques.

De nombreux rituels encadraient le partage du gâteau. Souvent c'était la personne la plus âgée de la famille qui le découpait. Les parts étaient dissimulées sous un linge et l'enfant le plus jeune, qui se plaçait sous la table, désignait le destinataire de chaque portion.

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Le gâteau des rois, Jean-Baptiste Greuze, 1725-1805

Souvent le gâteau était partagé avec une part de plus que de convives : c'était la part à Dieu, ou la part de la Vierge. On l’offrait aux quêteurs qui allaient de porte en porte traditionnellement ce jour-là. Si la fève se trouvait dans cette part, le maître de maison était le roi.
Dès que la fève était découverte, on servait à boire et chacun s'écriait : "le roi boit !".

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La fête des rois, Jacob Jordaens, 1593-1678

Ce n'est pas autre chose qu'une une formule magique accompagnant une libation de vin, pour s'approprier la prospérité et aussi la fécondité : le roi désignait sa reine en mettant la fève dans le verre de celle-ci. Symbole non équivoque !

Cela rappelle qu'autrefois, chez les Francs par exemple, mais aussi chez d'autres peuples, la royauté était tirée au sort. Le hasard désignait le roi : c'était la preuve qu’il était marqué par le destin pour régner.

Ici , nous avons en plus l'idée que la nourriture cérémonielle et sacrée confère un pouvoir particulier. Un peu comme la gelée royale fait la reine des abeilles à partir d'une larve comme les autres.

Le gâteau apporte la bonne chance

On pensait que la fève portait bonheur, ou qu'elle préservait son découvreur des fièvres et maladies pendant l'année. Il fallait la garder dans la poche, emballée de trois épaisseurs de papier.
Dans le comté de Gloucester en Angleterre les domestiques allumaient douze feux de paille et mangeaient des galettes et des gâteaux à l'anis en buvant du cidre et portant des toasts à la santé des maîtres, et pour que les récoltes soient bonnes.

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Le roi boit, Jacob Jordaens, 1593-1678 

Le gâteau a une valeur d’oracle

En Bretagne, on découpait des parts supplémentaires pour les personnes absentes. La façon dont elles se conservaient indiquait leur état de santé : si la part moisissait ou pourrissait, c'était mauvais signe.
En Grande Bretagne le gâteau s'appelle Twelve night cake, ou gâteau de la douzième nuit. On y dissimulait un haricot pour désigner le roi, et un pois pour la reine. Si un homme trouvait le pois, il désignait une reine, et vice versa si c’était une femme qui trouvait le haricot.
Parfois on mettait dans ce gâteau une pièce de six pence, une timbale en argent et un anneau. Celui qui trouvait la pièce n'aurait pas de soucis d'argent, l'anneau promettait un mariage dans l'année, et la timbale de rester célibataire.
A Herreford, on cuisait un gâteau en forme de couronne qu'on enfilait sur la corne d'un bœuf. On chatouillait ensuite l'animal qui secouait la tête et envoyait le gâteau en l'air. Selon la manière dont il retombait on faisait des prédictions pour l'année à venir.

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Le roi boit, Jacob Jordaens, 1593-1678

Aujourd'hui encore

Il est à noter que même la révolution française n’a pas réussi à interdire la fête des rois. On changea seulement le nom du gâteau : on partageait alors le gâteau de l'égalité, ou de la liberté, et le 6 janvier devint la fête des sans culottes…

La galette et sa fève devenue objet de collection, est encore bien vivante aujourd’hui. Saviez vous qu’au début du XX° siècle, les boulangers offraient la galette en cadeau à leurs clients pour leur souhaiter la bonne année. Dommage que cette facette de la tradition ait disparu…

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Commentaires
M
Super site. Merci Marie-Claire.<br /> <br /> J'ai appris quelque chose aujourd'hui.<br /> <br /> Je l'ai cherché : ta recette de la galette des rois ;)<br /> <br /> Bien à toi
C
Je découvre votre blog à l'instant, suite à quelques recherches concernant les traditions autour de la galette. En tant qu'historienne et historienne de l'art de formation, je ne peux être que sensible à vos articles au style très agréable. J'essaie moi même de faire partager ma passion pour ces deux matières dans un blog où je tente de conjuguer art-histoire et cuisine, mon passe-temps favori!Bonne soirée.<br /> Cécile.
R
Merci pour ce dossier très intéressant, et bonne année !
V
Une visite chez toi, et on repart tout de suite plus savant. Je te souhaite une excellente année, encore et toujours des recettes, des histoires et de très jolis mots.
E
C'est un beau billet plein de belles saveurs
E
Brrrrrr, ce condamné a qui on offre la couronne et qu'ensuite on exécute. Chez ma grand-mère, ça se passait sous la table le tirage au sort ! quoi qu'il en soit, l'occasion de manger une excellente galette
A
je suis en retard, je suis en retard ! <br /> Décidément toujours décalée. J'ai eu le coeur en compote de miel à lire ton Noël et à recevoir tes voeux. A mon tour, ici et puis là plus tard, de t'embrasser pour la nouvelle année, de te souhaiter tout ce qui peut se souhaiter de doux et bon. Fière d'être ta marraine, fière de ton blog, toujours admirative de la chaleur qui se dégage de tout ce que tu proposes ici, de tout ce qu'on y apprend. Merci.
L
Pour toi Marie Claire un modeste billet chez la Mère Castor.
M
Cette galette bourrée de crème frangipane! j'ai évité d'y goûter, eencore,par contre j'ai savouré ton intéressante narration de la tradition, si bellement illustrée!<br /> [Bisou]
C
Quel superbe billet! J'ai appris beaucoup de choses en te lisant (comme toujours, oseri-je dire^^)<br /> Merci :)<br /> Bonne semaine:)<br /> Bisous :)
L
Dans ma région on fait pour l'épiphanie une brioche à la fleur d'oranger et aux fruits confits qu'on appelle un royaume. <br /> Merci Marie Claire pour ces lumières, et pour les belles illustrations qui les accompagnent.
T
Intéressant volet "anglais"... C'est toujours bien documenté et surtout bien illustré ! <br /> Le gâteau des rois ne se fait pas seulement à l'Epiphanie, c'est plus largement un dessert de fête que l'on sert à un invité de marque...
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