Le roi boit : le retour au Temps
Douze jours séparent Noël de l'Épiphanie. Ces jours correspondent au décalage entre l'année lunaire et l'année solaire, ils n'appartiennent ni à l'une ni à l'autre : ils sont donc hors du temps.
L'adoration des mages, Pieter Brueghel l'ancien, 1525-1569
L’Epiphanie a été placée à cette date par l’église pour contrecarrer les anciennes célébrations païennes. Cette fête célèbre la manifestation de Jésus dans le monde : il s'est manifesté la première fois aux rois mages. Jusqu'au IV° siècle, elle se confondait avec la nativité. Encore aujourd'hui dans de nombreux pays, c'est ce jour là et non pas le 25 décembre que les enfants reçoivent leurs cadeaux.
Qu'est ce que la galette et la fève viennent faire dans la manifestation divine ?
Le roi
de la fève et de la galette n'a rien à voir avec les rois mages. La
galette ou la brioche en couronne que nous partageons ce jour-là est
avant tout, par sa forme ronde et sa couleur dorée, un symbole solaire
pour célébrer les jours qui rallongent et le retour de la belle saison,
cette victoire cyclique de la vie sur la mort.
Au cours des Saturnales chez les romains, ou de l’Akitu chez les assyro-babyloniens, on tirait au sort un roi bouffon qui possédait l'autorité suprême le temps de la fête. Les barrières sociales et sexuelles étaient abolies, tout le monde se retrouvait sur un pied d'égalité. Parfois le roi en question était choisi parmi les condamnés à mort, et il était exécuté à l’issue de la fête. On comprend les efforts de l'Église pour abolir ces réjouissances qui se terminaient souvent en orgies débridées...
La nourriture tient une grande place dans ces célébrations. On retrouve partout ces trois idées : le partage, le tirage au sort et les pratiques magiques.
De nombreux rituels encadraient le partage du gâteau. Souvent c'était la personne la plus âgée de la famille qui le découpait. Les parts étaient dissimulées sous un linge et l'enfant le plus jeune, qui se plaçait sous la table, désignait le destinataire de chaque portion.
Le gâteau des rois, Jean-Baptiste Greuze, 1725-1805
Souvent le gâteau était partagé avec une part de plus que de
convives : c'était la part à Dieu, ou la part de la Vierge. On
l’offrait aux quêteurs qui allaient de porte en porte
traditionnellement ce jour-là. Si la fève se trouvait dans cette part,
le maître de maison était le roi.
Dès que la fève était découverte, on servait à boire et chacun s'écriait : "le roi boit !".
La fête des rois, Jacob Jordaens, 1593-1678
Ce n'est pas autre chose qu'une une formule magique accompagnant une libation de vin, pour s'approprier la prospérité et aussi la fécondité : le roi désignait sa reine en mettant la fève dans le verre de celle-ci. Symbole non équivoque !
Cela rappelle qu'autrefois, chez les Francs par exemple, mais aussi chez d'autres peuples, la royauté était tirée au sort. Le hasard désignait le roi : c'était la preuve qu’il était marqué par le destin pour régner.
Ici , nous avons en plus l'idée que la nourriture cérémonielle et sacrée confère un pouvoir particulier. Un peu comme la gelée royale fait la reine des abeilles à partir d'une larve comme les autres.
Le gâteau apporte la bonne chance
On pensait que la fève portait bonheur,
ou qu'elle préservait son découvreur des fièvres et maladies pendant
l'année. Il fallait la garder dans la poche, emballée de trois
épaisseurs de papier.
Dans le comté de Gloucester en Angleterre les domestiques allumaient douze
feux de paille et mangeaient des galettes et des gâteaux à l'anis en
buvant du cidre et portant des toasts à la santé des maîtres, et pour
que les récoltes soient bonnes.
Le roi boit, Jacob Jordaens, 1593-1678
Le gâteau a une valeur d’oracle
En Bretagne, on découpait des parts supplémentaires pour les
personnes absentes. La façon dont elles se conservaient indiquait leur
état de santé : si la part moisissait ou pourrissait, c'était mauvais signe.
En Grande Bretagne le gâteau s'appelle Twelve night cake,
ou gâteau de la douzième nuit. On y dissimulait un haricot pour
désigner le roi, et un pois pour la reine. Si un homme trouvait le
pois, il désignait une reine, et vice versa si c’était une femme qui
trouvait le haricot.
Parfois on mettait dans ce gâteau une pièce
de six pence, une timbale en argent et un anneau. Celui qui trouvait la
pièce n'aurait pas de soucis d'argent, l'anneau promettait un mariage
dans l'année, et la timbale de rester célibataire.
A Herreford, on
cuisait un gâteau en forme de couronne qu'on enfilait sur la corne d'un
bœuf. On chatouillait ensuite l'animal qui secouait la tête et envoyait
le gâteau en l'air. Selon la manière dont il retombait on faisait des
prédictions pour l'année à venir.
Le roi boit, Jacob Jordaens, 1593-1678
Aujourd'hui encore
Il est à noter que même la révolution française n’a pas réussi à interdire la fête des rois. On changea seulement le nom du gâteau : on partageait alors le gâteau de l'égalité, ou de la liberté, et le 6 janvier devint la fête des sans culottes…
La galette et sa fève devenue objet de collection, est encore bien vivante aujourd’hui. Saviez vous qu’au début du XX° siècle, les boulangers offraient la galette en cadeau à leurs clients pour leur souhaiter la bonne année. Dommage que cette facette de la tradition ait disparu…