Janvier, c'est le mois du "Blanc". Tiens, mais pourquoi donc ?
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Traditionnellement c'est en janvier que les fabricants et les magasins de textiles nous proposent à coup de promos infernales, de renouveler notre linge de maison. Dans tous les supermarchés, on est en ce moment accueilli par des rangées de serviettes-éponges, de taies et de housses de couette, qui ont pris la place des jouets et des décorations de Noël. Les draps, nappes, torchons et serviettes sont beaucoup plus colorés qu'autrefois où le blanc était de rigueur, mais le mot "blanc" désigne toujours le linge de maison, fût-il en couleurs.
Dans son billet sur le nouvel an japonais (clic), Nick nous explique qu'au Japon, la couleur blanche est emblématique du nouvel an : c'est un symbole de pureté, de renouveau. On mange de la nourriture de couleur blanche à cette occasion.
Et en France, se demande Nick, est-ce par symbole de renouveau que l'on remplit ses armoires à linge au début de l'année ? La réponse à cette question est l'occasion toute trouvée d'un nouveau billet de notre rubrique Terre d'Ouest-Vent d'Est.
Ce serait un joli symbole ! Mais en réalité, pourquoi est-ce en janvier que nous achetons les nouvelles nappes pour nos tables ? Vous allez être surpris.
Remontons le temps, jusqu'à la Révolution Française.
Je ne vais pas vous faire un cours d'Histoire, seulement vous rappeler le souvenir des Guerres de Vendée, qui ont ravagé l'Ouest de la France entre 1793 et 1796. Il y eut des batailles avec des figures héroïques de part et d'autre, et aussi des horreurs et des massacres qui ont laissé un souvenir douloureux encore vivace aujourd'hui dans ces régions.
Sous l'ancien régime, la ville de Cholet prospérait grâce aux manufactures de textiles. Ces manufactures faisaient travailler des milliers de tisserands dans toute la région. L'activité périclita à la révolution, à cause des 3 bataille successives dont la ville fut le théâtre, elle fut incendiée plusieurs fois et presque rayée de la carte : il ne restait que 20 maisons debout en 1796, une tragédie.
Ce tableau de Paul Emile Boutigny représente Henri de la Roche Jacquelein durant la bataille de Cholet (Source : Wikipédia).
Mais au XIX° siècle, époque de la révolution industrielle, les filatures et les tissages renaquirent de leurs cendres (et ce n'est même pas au figuré), pour atteindre une certaine réussite.
Nous arrivons en 1900. Et dans le show biz de l'époque.
Le célèbre chanteur Théodore Botrel, auteur de la Paimpolaise, (si, si, il était aussi célèbre à l'époque que Johnny Hallyday de nos jours), qui était Breton, écrivit une chanson qui fit un tabac : Le mouchoir rouge de Cholet. Il est venu la chanter dans cette ville le 29 avril 1900, à l'occasion du concert annuel de l'orphéon local. Imaginez le succès !
A gauche: Théodore Botrel, jeune auteur compositeur à la mode... en 1900.
L'histoire que raconte la chanson est basée sur un fait historique. Durant la grande bataille de Cholet de 1793, Henri de La Roche Jacquelein (le personnage en vert du tableau ci dessus) portait trois mouchoirs blancs en signe de ralliement : un à son chapeau, un sur la poitrine et un à son côté. C'était courageux, car par ce signe ostentatoire, il se désignait comme cible aux ennemis. Il fut tué près de Cholet le 24 janvier 1794, son sang colorant de rouge le blanc mouchoir qu'il portait. C'est à la fois tragique et romantique : ce général était très jeune (il est mort à 21 ans), brave, joyeux, enthousiaste et très joli garçon, disent les témoignages de l'époque. De plus, il se battait pour une cause perdue : tous les ingrédients sont là pour que s'enflamment les légendes et que cela se termine en épopée.
Voici la chanson chantée par son auteur en personne. Attention : plongée directe 110 ans en arrière, c'est un grand saut ! (Je trouve cela émouvant d'entendre la voix de gens qui ont vécu un siècle avant nous... qu'importe si la chanson est quelque peu désuète.)
Théodore Botrel connaissait l'histoire, c'est uniquement pour la rime qu'il attribua le fait à un autre général Vendéen, Charette.
Un formidable coup de pub !
Devant l'extrême popularité de cette chanson, un industriel Choletais eut l'idée géniale de fabriquer un mouchoir en lin, tissé en rouge et blanc, et de l'envoyer à Théodore Botrel. Ce fut une sensationnelle publicité pour la ville et son industrie textile.
Le mouchoir est encore fabriqué de manière traditionnelle aujourd'hui par le musée du textile de Cholet, qui a racheté les anciens métiers, ceux qui font beaucoup de bruit et qu'il faut tout le temps graisser.
(Photo ci-contre : Musée du Textile de Cholet)
Le blanc est la couleur traditionnelle de la royauté. Le drapeau des rois de France était blanc. Et pendant les guerres de Vendée, on parlait des "Blancs" contre les "Bleus". Le rouge du mouchoir symbolise le sang versé des Vendéens.
Mais on parlait du blanc, pas du rouge et blanc !
J'y viens : c'est à la même époque et avec la même idée derrière la tête, que les industries textiles de cette région lancèrent l'opération de marketing appelée "le mois du Blanc", en janvier. Le mois du Blanc, il y a un jeu de mot que vous comprenez maintenant !
Pourquoi en janvier ? Par symbole de renouveau ? Parce que c'était une période creuse pour les ventes ? Pas seulement. C'est aussi pour commémorer, sans en avoir l'air, un anniversaire. Rappelons-nous que le roi Louis XVI fut guillotiné le 21 janvier 1793. Et Alexandre Dumas raconte que, ayant refusé la corde, c'est avec un mouchoir blanc qu'on lui lia les mains. Beaucoup de gens ignorent, lorsqu'ils reçoivent les catalogues de linge de maison, ce clin d'œil à la mémoire de la monarchie, qui se perpétue encore de nos jours.
Mais alors qu'allons nous servir à manger sur nos nappes blanches de l'année nouvelle parfaitement républicaine ?
Une blanquette, évidemment ! Définition de la blanquette : ragoût de viandes blanches (veau, poulet...) dans une sauce blanche. On ne peut pas trouver mieux.
Comme ce billet est déjà long, la recette est ICI.
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