Bruno Paillard : l'homme qui murmurait à l'oreille des ceps de vigne
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Ce que j'aime le plus dans mon métier, c'est de pouvoir
rencontrer des gens passionnants. Cela vous étonnera-t-il : les gens
passionnants sont souvent des passionnés.
Je vais vous raconter la belle histoire de Bruno Paillard, créateur de la plus jeune des petites maisons de champagne, qui nous accueille au milieu de ses vignes. L'homme au nom prédestiné (on doit aimer la vie, avec un nom pareil !) a créé sa maison à 27 ans, en 1981, sans un seul arpent de vigne, dans une cave louée, et avec seul investissement de départ le fruit de la vente d'une vieille jaguar de collection qu'il possédait. C'était un peu considéré comme de la folie, alors qu'aucune nouvelle maison ne s'était créée en Champagne depuis un siècle. Mais n'y a-t-il pas un peu de folie dans toute passion ?
C'est en 1994 qu'il achètera ses premières vignes. On n'imagine pas la difficulté d'acheter une parcelle de terre en Champagne, même en ayant les moyens financiers ! Aujourd'hui, son domaine compte 26 hectares disséminés en 50 petites parcelles. Bruno Paillard ne veut pas faire un champagne comme tout le monde. Très vite, la qualité de ses vins est saluée par la critique. En France, c'est Joël Robuchon qui les a remarqués en 2000, lors d'une dégustation dont Bruno Paillard ignorait même l'existence. Il en parla dans la chronique qu'il tenait au Figaro : "des vins d'une pureté remarquable et une Maison à taille humaine", que Bruno lut avec surprise. Ce fut le début d'une amitié qui dure encore ; entre perfectionnistes, on se comprend. Oui c'est ce qui frappe, la taille humaine et le respect. Respect des hommes, de la terre, des éléments.
Avec chaleur et ferveur l'homme nous entraîne dans un long voyage depuis la vendange jusqu'à l'ouverture de la bouteille. Et quand je dis depuis la vendange, je devrais dire depuis la plantation des vignes. Suivez-moi pendant 3 épisodes, et vous saurez tout ou presque sur la fabrication d'un vin hors norme qui vous enchante le palais et vous émerveille les papilles de ses subtils arômes de noisette, d'agrumes, de fleurs ou de fruits confits.
Il faut le voir, Bruno Paillard, dans ses vignes. Il embrasse l'horizon du regard, caresse les plantes du bout de la main. Observe la grosseur des grains, retire une feuille qui fait de l'ombre, s'inquiète d'une branche malencontreusement cassée. La relève est assurée, sa fille la belle Alice est au pays des merveilles dans cet océan de verdure.
Si les herbes folles poussent en s'insinuant entre les rangs, c'est que la vigne est cultivée en biodynamie. Aucun herbicide n'est répandu. Le désherbage se fait à la main, ou par un décompactage mécanique du sol avec des petites charrues qui enjambent les rangs. Cela oblige la plante à enfoncer plus loin ses racines, vers la craie du sous sol. On fait deux ébourgeonnages par an, cela rend la plante plus forte, mais donne moins de productivité. On lutte contre les maladies avec des tisanes d'orties ou de prêle et des décoctions de corne broyée. Les chemins d'accès sont enherbés, pour contenir les eaux de pluie et stabiliser la pente des sols, et pour maintenir la présence d'abeilles et de papillons butineurs. La vendange est exclusivement faite à la main. C'est un travail de titan qui demande un fort investissement humain, mais l'équipe est motivée de la même passion. On ne cherche pas la productivité, mais on respecte la plante et ses besoins par souci de qualité. Le souci du détail est poussé jusqu'aux piquets de bouts de rangs, qui sont en bois, alors que tous ceux des vignes alentours sont en métal.
Parce que c'est plus esthétique, explique Alice.
C'est sur la craie que pousse cette vigne. La terre arable ne forme qu'une mince couche, comme on le voit sur cette photo. Cela va apporter de la minéralité au goût du champagne. Alchimie du sol, de la plante et aussi caractère d'une personne. En France, les vins portent toujours un nom de lieu : Côtes du Rhône, Saint Emilion, Gaillac, Château Petrus ou Beaujolais villages, toutes ces appellations sont des noms de lieu parce que le vin est issu d'un terroir et c'est le terroir qui lui donne sa personnalité. Mais sur les bouteilles de champagne figure toujours un nom de personne : Moët, Mumm, Veuve Cliquot, Taittinger ou Bruno Paillard. Parce que le champagne est un vin d'assemblage qui reflète le caractère d'une maison. Là intervient la personnalité du créateur...
La qualité a un prix, celui du travail et de l'engagement des hommes. Jamais vous ne trouverez une bouteille de ce champagne dans un supermarché, Bruno Paillard s'y refuse absolument : car alors, dit-t-il, la qualité baisserait au profit de la quantité. La grande distribution a des exigences incompatibles avec un produit d'excellence et de caractère. Fini le désherbage à la main, fini la sélection de la première presse des raisins, finis les longs temps de garde dans les caves et d'immobilisation des stocks. La production est diffusée dans la restauration haut de gamme, en France et à l'étranger, et aussi chez les cavistes.
La suite dans ce billet (clic) , vous saurez tout sur la fermentation et fabrication du fameux breuvage, attention aux bulles !
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