Voyage au pays du champagne, 2° partie — Laisser le temps au temps
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Vous avez suivi le premier épisode de
l'histoire d'un champagne, (ICI, clic), voici la suite, où vous verrez
que la vitesse et la rapidité sont des concepts complètement opposés à
l'idée de qualité, d'excellence, de plaisir. Et heureusement qu'il y a
encore des gens qui le savent et qui l'appliquent.
Nous
voici maintenant dans le bâtiment de métal de verre et de bois, que
Bruno Paillard a fait construire pour abriter ses caves. Métal, verre et
bois sont les trois "éléments" qui enveloppent le champagne.
Chez Bruno Paillard, seule la première presse du raisin est utilisée, parce qu'elle est la plus pure, soit 50 % du jus environ. Le reste part en vinaigrerie. Ceci donnera des vins un peu plus acides que la moyenne, mais cette acidité sera naturellement rectifiée par la fermentation malolactique, sans avoir recours à l'ajout massif de sucre ou à l'hypersulfitage (je ne veux pas vous assommer de détails techniques, mais vous avez tous lu sur les bouteilles de vin qu'il "contient des sulfites", c'est du dioxyde de souffre, un conservateur et un anti-oxydant, plus ou moins dosé selon la qualité du vin. C'est ce qui fait que les vins médiocres donnent mal à la tête).
Le jus étant pressé, chaque cru, parfois même chaque parcelle, fermente séparément dans les 96 cuves et 400 barriques de la cave.
Voilà un aperçu des cuves. C'est impressionnant, et je vous rappelle que c'est une toute petite maison de champagne !
Et un aperçu des barriques.
Où est inscrite le nom de la parcelle. C'est qu'il ne faut pas s'y perdre, dans les 400 tonneaux !
Cette première fermentation effectuée, on obtient des vins tranquilles qui serviront de base à l'assemblage, car le champagne est un vin d'assemblage. Là intervient la personnalité du créateur. C'est Bruno Paillard lui-même, qui compose l'assemblage, uniquement au nez. Il y a tout de même plus de 250 vins différents à goûter régulièrement, ce n'est pas rien ! La mémoire olfactive est très importante. II peut y avoir une gamme de 70 vins, dans un seul champagne.
Nous nous sommes d'ailleurs un peu plus tard essayés à l'exercice : reconnaître par le nez les arômes présents dans les trois cépages du champagne : chardonnay, pinot noir et pinot meunier, et ce n'est pas facile du tout !
Les assemblages comportent des vins de vignes différentes, mais aussi des vins d'années différentes. A chaque cuvée correspond un assemblage particulier, qui lui donnera sa saveur spécifique. Chaque année, une cuvée est composée avec 20 à 50 % de vins de réserve de l'année précédente, qui eux-même comportent 20 à 50 % de vins de l'année précédente, et ainsi de suite... C'est nécessaire pour que le "style" de la maison se perpétue d'année en année, malgré des conditions météorologiques différentes d'une année sur l'autre. La seule exception est les champagnes millésimés qui doivent refléter une seule année.
Donc après avoir réalisé l'assemblage dans le verre, il faut le faire grandeur nature. Cela se passe dans cette immense cuve haute comme deux étages d'une maison, qui ne sert qu'une fois dans l'année.
A l'intérieur de la cuve, le vin est brassé par un système de pales qui montent et descendent, pour qu'il soit mélangé de manière homogène.
L'étape suivante est la mise en bouteilles. Le vin est mis avec une petite quantité de levures dans son flacon définitif, mais fermée d'une capsule provisoire. Bouteille, demi bouteille, magnum, jéroboam, ou mathusalem (ça fait toujours bien dans un dîner, de connaître les noms des bouteilles de champagne)... La bouteille Bruno Paillard est copiée sur la forme d'une bouteille du XVIII° siècle, dont il garde l'original dans son bureau. Elles vont reposer couchées dans la cave, pendant 3 à 15 ans, selon les cuvées. Le minimum légal est de 15 mois. À ce stade déjà on prend son temps.
La cave est un endroit impressionnant. On aurait presque envie d'y parler à voix basse, pour ne pas déranger les belles au bois dormant. Cela ressemble à l'entrepôt rempli de caisses à la fin du film Indiana Jones, sauf que là, ce ne sont pas des caisses, mais de grandes cages en fer remplies de bouteilles. A perte de vue : elles sont trois millions. La température est constante, de 10 °C tous les jours de l'année, et il y règne aussi une lumière spéciale sans ultra violets. C'est pourquoi vous voyez que tout semble marron sur les photos. Je vous assure que celle lumière ne donne pas bonne mine, mais l'important est qu'elle donne un joli teint au champagne.
C'est maintenant que toute la magie de la fermentation va œuvrer. Sous l'effet des levures, le vin va de nouveau fermenter dans la bouteille. mais comme celle-ci est fermée, le gaz carbonique ne peut pas s'échapper, comme dans les cuves ouvertes ou les barriques de la première fermentation. Il va donc se dissoudre dans le vin. D'où les bulles du champagne.
La légende veut que ce soit Dom Perignon qui soit l'inventeur du champagne. Il a en fait utilisé et canalisé un défaut du vin qui refermentait dans la bouteille, au risque de la faire exploser. Mais en réalité, le Champagne tel qu'on le connaît aujourd'hui est apparu à partir du moment où il fut autorisé de transporter le vin dans des bouteilles. La loi date de 1731. Le champagne était donc auparavant un vin de contrebande, qu'on transportait sous le manteau. Mais à la cour du Régent, on ne s'en privait pas ! Louis XV était aussi amateur. On dit que la courbe de la première coupe de champagne fut modelée sur la forme du sein de madame de Pompadour. — Je vous laisse méditer sur cette image et vous donne rendez-vous très bientôt pour la suite.
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