Escapade en Provence (2) : au pays des truffes, du marché... à la messe
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Dans la foule, ils se jettent des regards furtifs et parlent à voix basse.
— "Tu en as ?
— Oui, j'en ai
— Elle est belle ?
— Très belle..."
Ils s'éloignent de la rue principale et s'approchent de l'une des voitures garées un peu à l'écart sous les arbres d'une allée transversale. Les coffres sont ouverts et là des conciliabules étranges et secrets ont lieu autour de la précieuse marchandise, des échanges se font, des transactions par signes et par le regard. Et surtout, surtout il monte dans l'air glacé de l'hiver un parfum enivrant et absolument stupéfiant.
Le parfum inimitable de la truffe, que l'on sent bien avant d'en apercevoir la première ombre d'une seule.
Non ce n'est pas un trafic de substances illicites que je vous
raconte, je vous décris l'ambiance du marché aux truffes de
Richerenches, dans le Vaucluse. Enfin plus exactement la partie du
marché réservée aux grossistes et aux professionnels. Ce marché voit
passer la plus grande quantité de truffes de toute la Provence, ce qui
est quelque chose. Pas de cris ni d'appels parmi la foule. Tout se passe
près des coffres des voitures grands ouverts sur des caisses, des sacs
de jute, des boîtes, des poches. On ne voit rien. Ça chuchote, ça
parlemente, ça s'extasie, ça discute, ça hume, ça gratte avec la pointe
du canif, ça marchande, ça cligne des yeux, ça hoche la tête. Ça
embaume. Les transactions se font de gré à gré et se paient au comptant,
le plus souvent en argent liquide. Les particuliers ne peuvent pas
acheter à ce marché. D'ailleurs on n'y comprend rien, à leurs signes cabalistiques à leurs mimiques et à leurs tope-là.
Celles-ci, a précisé le vendeur, conviennent pour une omelette, mais avec des œufs d'autruche !
Le marché aux truffes de Richerenches a lieu tous les samedi matin à
10 heures, durant toute la saison des truffes, de novembre à mars. Il
attire beaucoup de monde, c'est là que des grands chefs viennent
s'approvisionner.
Même si l'on n'est pas un grand chef et qu'on aime
le parfum de la truffe, c'est un but de promenade original et riche en
expériences sensorielles. Parallèlement au marché des grossistes a lieu
le marché pour les particuliers, les touristes, enfin vous et moi, quoi.
Les rues du village sentent la truffe par bouffées qui vous arrivent,
délicieuses. Rien que cela c'est un plaisir !
On peut goûter des tas de bonnes choses...
Toutes plus sympathiques les unes que les autres...
S'ils n'ont pas de truffe, qu'ils mangent des courges... en voici, en voilà...
Mais la truffe est omniprésente, au détail cette fois. Remarquez la différence de prix selon la grosseur de la bête. Le prix indiqué est aux 100 grammes : 65 euros les petites, 85 les grosses (c'est le prix de début décembre... aux abords de Noël, ça va grimper ferme !). Comptez 5 à 10 g par personne pour parfumer merveilleusement un plat.
Les œufs enfermés avec les truffes absorbent le parfum car leur coquille est poreuse, pour faire une omelette aux truffes sans truffe !
Le safran est aussi un très beau produit de la région ! Celui-ci vient de chez monsieur Couston du "Safran d'Ici" à Visan dans le Vaucluse. Encore un produit dont on n'a besoin que d'une toute petite quantité pour parfumer et magnifier un plat.
Il faisait très froid début décembre à Richerenches, et le vendeur de plants d'arbres truffiers de la maison Robin était là depuis le matin. Les racines des arbres sont mycorhizés, ce n 'est pas une maladie, cela veut dire qu'on leur ajoute du mycélium de truffe qui agira en symbiose avec l'arbre, en espérant qu'ils produisent quand ils seront adultes. Mais les conditions à réunir sont extrêmement complexes : nature du terrain, climat, espèces des arbres environnants, etc...
Après le marché, Richerenches redevient un village tranquille, jusqu'au samedi suivant.
Chaque année, le 3° dimanche de janvier, à 10 h 30, en 2011 ce sera la 16 janvier, a lieu à Richerenches la messe des truffes, dédiée à Saint Antoine le patron des trufficulteurs. Elle est célébrée en langue provençale, et attire beaucoup de monde. Pour avoir une place dans l'église, il faut arriver avant l'aube. Ce jour là l'église embaume, non pas l'encens, mais le parfum du précieux champignon, présent sur l'autel durant l'office. Avouez qu'il y a de quoi ramener des brebis égarées vers le chemin de l'église. Mais attention, lors de la quête traditionnelle, à la place de mettre une pièce de monnaie dans la corbeille, les fidèles déposent... une truffe! Le curé du village dont l'église menaçait ruine a eu cette idée géniale en 1952. Depuis, l'église est réparée, mais la coutume a survécu. A la sortie de la messe, la Confrérie du Diamant Noir en habit de cérémonie procède à la vente aux enchères des truffes, suivie d'un apéritif où tout le monde est convié. Un repas entièrement à la truffe a lieu ensuite, mais uniquement sur réservation... et c'est en général complet dès le mois de novembre. Vous pouvez toutefois vous inscrire pour 2012.
Quant
à moi, j'ai craqué : j'ai ramené une truffe pour mon repas de Noël,
évidemment, mais aussi un petit chêne truffier... un bébé de cette
année. Il me reste à le planter dans mon jardin et si j'ai (énormément)
de chance, le terrain qu'il faut, assez calcaire, avec le bon Ph,
l'ensoleillement idéal, la pluviométrie adaptée, les conditions
adéquates ET la patience d'attendre 10 ans, peut-être, éventuellement,
si la providence le veut, si ça se trouve, j'aurai une truffe. Ne vous
moquez pas ! On peut rêver, non ? Et quand mon petit fils aura 10 ans,
je lui dirai que le chêne a le même âge que lui. C'est d'ailleurs un
joli cadeau de noël, un chêne, même s'il n'est pas truffier. Bon, alors
rendez-vous dans 10 ans, et d'ici là...
Joyeux Noël !
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