Le petit Lepetit, où l'on reparle du camembert
Vous vous souvenez de la guerre du camembert ? J'en ai parlé ICI. Une guerre à coups de moulage à la louche et de grandes giclées de lait thermisé.
Je résume, pour ceux qui n'ont pas suivi depuis le début :
Le groupe industriel Lactalis (qui fabrique entre autres le camembert Président) a souhaité changer la charte de l'AOC de ces fromages au lait cru, sous de fallacieux prétextes de santé publique, alors que c'était en réalité pour des raisons de facilité de fabrication et d'économie : un fromage au lait cru coûte plus cher à fabriquer qu'un fromage pasteurisé.
Ce même groupe industriel a racheté plusieurs fromageries traditionnelles qui fabriquaient autrefois d'excellents camemberts : Lanquetot, Lepetit et Isigny-Sainte-Mère. Ces fromages étaient vraiment fameux, dans le temps jadis.
Oui, jadis. Maintenant qu'ils sont fabriqués par Lactalis, ils sont devenus ni plus ni moins des produits industriels tout à fait médiocres.
Heureusement, on peut le dire, cette tentative de modifier l'AOC a échoué. L'INAO a maintenu l'obligation du lait cru pour le camembert de Normandie. Le véritable camembert est toujours fait selon un cahier des charges précis sur la provenance du lait, la fabrication, la fermentation, l'affinage. Ce qui veut dire que les fromages fabriqués par Lactalis n'ont pas le droit à l'appellation : ils voulaient le beurre et l'argent du beurre. Ils n'ont eu que l'argent. Mais il faut croire que cela ne leur suffit pas.
Suite à cela, le groupe Lactalis a décidé de fermer à la fin de l'année 2008 le site historique de fabrication des camemberts Lepetit à Saint-Maclou dans le calvados, en raison, disent-ils, d'une baisse des ventes. Cette fromagerie avait été créée en 1872 par Léontine et Auguste Lepetit. Cette marque historique a donc perdu l'AOC depuis d'elle a été rachetée par Lactalis, puisque le lait est maintenant thermisé (doux euphémisme pour ne pas dire "chauffé", et pour nous fait croire que c'est mieux). Sur les 93 salariés, 26 conserveront leur emploi et les autres seront reclassés sur un site voisin dans le Calvados.
La baisse des ventes, qui remonte au début 2008, disent-ils chez Lactalis, s'explique par la forte hausse du prix du lait qui a fait passer au camembert le seuil psychologique des 2 euros, mais aussi par les attaques subies par la marque Lepetit dans les médias depuis qu'elle a quitté l'appellation d'origine contrôlée. "La violence des attaques menées contre nous a semé le doute chez un certain nombre de consommateurs. Il y a eu un dénigrement de la marque absolument évident ."
La baisse des ventes de Lepetit serait un cas isolé, d'autres marques de camembert du groupe sont en hausse dans la moyenne gamme, la marque Président se porte bien.
On est content pour elle. Et on ne s'inquiète pas le moins du monde pour Lactalis : deuxième groupe laitier mondial et premier européen. Si on pleure, c'est simplement en pensant à Léontine et Auguste, qui s'efforçaient de produire un fromage de qualité, et qui ont réussi à la maintenir pendant plus d'un siècle.
Et sur la question des basses attaques, ils s'y connaissent, chez Lactalis, puisqu'en mars 2008, ils ont accusé les camemberts Réo (AOC au lait cru, je précise) de contenir des bactéries pathogènes. Les camemberts sont retirés de la vente, on fait des analyses... et ... rien. Ils sont absolument parfaits , ces camemberts au lait cru, absolument propres à la consommation.
Le 10 octobre dernier, c'est le tour de la fromagerie du domaine de Saint-Loup à Cambremer, de la marque Graindorge, qui est l'un des plus farouches défenseurs de la fabrication traditionnelle du camembert. Les fromages de cette marque sont accusés (par Lactalis) de contenir des bactéries pathogènes. De nouveau : rappel des marchandises qui sont retirées de la vente, analyses... et encore une fois : blancs comme neige ou plutôt comme la fleur sur la croûte du camembert. Les résultats des analyses viennent de tomber pas plus tard que le 17 octobre. Point de vilaines bactéries.
Vous imaginez le préjudice pour ces fabricants, obligés de retirer les fromages de la vente, de faire des analyses, de se justifier alors que leurs produits ont toujours été très bons et conformes aux règles d'hygiène.
Ce qu'ils ne nous disent pas , chez Lactalis, c'est que ces marques de "vrai" camembert, comme Graindorge, Réo, Gillot, on vu leurs ventes grimper en flèche. (Et ces camemberts, vendus le plus souvent dans le circuit des crèmeries et des marchés, coûtent plus de 2 euros).
Oh. Comment est-ce possible ? On ne pourrait plus tromper complètement les consommateurs sur la qualité de ce qu'ils achètent ? Vraiment c'est uniquement à cause de nous et de nos attaques ? Nous sommes coupables, nous les médias ? Alors on se venge sur les 93 salariés ? On se venge sur les marques artisanales vendues chez les bons crémiers ? C'est petit, monsieur Lactalis. Qu'on me pardonne ce mauvais jeu de mot.
On ne se pose pas la question, chez Lactalis, de savoir si les consommateurs n'achètent plus cette marque tout simplement parce qu'ils ont été déçus par la qualité et qu'ils trouvent que le fromage Lepetit est devenu médiocre ? Vraiment, on décide jusqu'au bout de les prendre pour des imbéciles, les consommateurs ?