Un concours de cuisine autrement pro que "Top-chef"
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Je
ne vais pas m'étendre sur cette émission affligeante, mais toutefois
assez rigolote à regarder au second degré, qui passe sur M6, et qui se
présente comme le plus extraordinaire concours de cuisine de tous les
temps. On s'amuse.
Prise au premier degré, elle donne une idée complètement erronée de
ce qu'est le métier de chef et elle risque bien d'être un miroir aux
alouettes pour des jeunes gens attirés par les paillettes. C'est en tout
cas l'opinion des professionnels et des enseignants de l'école
Hôtelière à qui j'en ai parlé.
Des Cyril Lignac doués à la puissance 10, vous en trouverez dans tous les lycées hôteliers de France : des élèves en Bac pro de restauration, motivés, courageux, passionnés et doués. Ils ne sont pas sous les projecteurs de la télé-réalité : ils n'ont pas le temps, ils apprennent leur métier, ils cherchent la perfection, ils rêvent de côtoyer les plus grands chefs étoilés non pas dans un studio mais devant les fourneaux, ils travaillent dans l'ombre des cuisines, pour nous régaler encore mieux.
Je sais de quoi je parle car j'ai participé à un concours de cuisine. Un concours qui n'est pas scénarisé ni arrangé à l'avance, et qui peut réellement faire avancer la carrière des candidats.
Le 25 février dernier, à La Rochelle
au eu lieu la finale régionale de la région
Ouest du concours "Le boeuf, les races à viandes" organisé dans les
écoles Hôtelières de France par la filière
bovine (clic).
Le vainqueur ira disputer la demi finale à
Limoges. Puis le but ultime sera la finale nationale qui se déroulera à
Paris, dans les prestigieuses cuisines du Ritz, sous la tutelle de
Michel Roth.
Le vainqueur de la finale ne gagnera pas cent mille
euros, mais quelque chose de plus précieux : du savoir, de l'expérience.
Le premier prix est un stage de cuisine au Ritz. Ce concours, qui
existe depuis 22 ans, aura un réel intérêt dans sa vie professionnelle,
comme me l'a expliqué Madame Galand, le proviseur du Lycée. Tous les
précédents vainqueurs ont occupé ensuite des postes importants dans des
établissements souvent étoilés, beaucoup on créé leurs restaurants, et
certains sont ou seront macaronisés par le guide Michelin. Par contre,
je me demande où seront les candidats de Top Chef une fois les
projecteurs éteints ? Bref, passons aux choses sérieuses.
Deux jurys
Je faisais partie
du jury de dégustation, en compagnie de professionnels de la filière
bovine, membres de l'éducation nationale, journalistes et chef de
cuisine, j'y ai même fait la connaissance de Marie Jo, une blogueuse de ma région (clic).
Un autre jury était en cuisine, constitué de professionnels et
d'enseignants, qui notaient la technique culinaire des candidats, leur
maîtrise des cuissons, leur propreté, leur organisation, et ce genre de
choses importantes. Pour le jury dégustation, il s'agissait de goûter
les plats réalisés, ce qui n'est pas la plus mauvaise place, vous en
conviendrez.
Six candidats
Vous les voyez
ci-dessus : Thomas Gaborit, Rachel Berlaud, Thibault Limousin,
Jean-Charles Boisumault, Bertrand Rat et Jeanne Fougeret. Ils venaient
du Lycée Hôtelier de La Rochelle, du Lycée Kyoto de Poitiers et du Lycée
Saint Joseph l'Amandier de Saint Yrieix sur Charente.
Ils devaient
cuisiner en 4 heures un plat constitué de 3 morceaux de boeuf différents
situés dans le quartier avant de la bête. L'idée est de réhabiliter ces
morceaux à mijoter, que l'on appelle stupidement "bas morceaux" alors
qu'ils sont extrêmement savoureux, ma cocotte en fonte peut en
témoigner.
Un parrain
Le parrain de
cette promotion du Poitou-Charentes est David Noyau, le
chef du restaurant La Belle
Poule à Rochefort (clic). C'est lui qui va coacher et entraîner le
lauréat pour perfectionner sa recette jusqu'à la finale parisienne.
Comment se déroule un concours de
cuisine ?
Ce n'est pas du tout comme à la télé, avec un
animateur qui fait monter la mayonnaise et qui n'y connait rien, des
grands chefs qui jouent exprès les méchants parce que c'est écrit dans
le scénario, de la musique énervante, des images racoleuses de danseuses
dévêtues, des idylle supposée naissantes et des candidats stressés la
larme à l'œil qui agissent comme si leur vie entière et celle de leurs
descendants jusqu'à la vingtième génération dépendait de la bonne taille
des queues du persil.
Non, c'est silencieux, calme et appliqué.
Tandis que les candidats s'affairent en cuisine — ils ont commencé à l'aurore, et certains venaient de loin— le jury de dégustation s'installe dans la salle à manger. Comme chaque juré, je me trouve installée à une table individuelle où sont disposés des couverts, une carafe d'eau et du pain. J'ai un dossier contenant la feuille de notation, toutes les fiches techniques et les recettes des plats du concours, mais n'y figure pas l'identité des candidats, ils sont désignés par un numéro. Au centre de la pièce se trouve une table où les plats seront exposés. C'est assez intimidant d'être là, chacun à notre grande table, tandis qu'en cuisine juste à côté, les jeunes futurs cuisiniers s'affairent et donnent le meilleur d'eux mêmes. C'est impressionnant de se dire qu'on va devoir décider du vainqueur, et heureusement qu'on n'est pas seul, il y a 6 jurés, ayant chacun leurs goûts et leur personnalité.
Un serveur présente l'assiette dressée à chaque juré avant d'aller la déposer sur la table d'exposition.
Les assiettes sont également anonymes, désignées par un numéro, la dégustation se fait à l'aveugle. Ce n'est qu'à la fin, une fois que les notes ont été rendues, que l'on connaîtra les noms des candidats.
En plus de cette assiette dressée, que l'on regarde mais que l'on ne mange pas, le candidat doit réaliser d'autres assiettes qui ne sont pas dressées, mais partagées par le professeur de salle en portions destinées à la dégustation. Cela se passe sur une table un peu plus loin.
Voici les 6 assiettes des candidats, dans l'ordre où elles furent présentées. Les inspirations sont variées, certains sont généreux et foisonnants, d'autres ont un style plus épuré.
L'assiette N°1 : Bœuf façon osso bucco, Parmentier et tarte fine, se compose d'une tarte fine aux feuilles de brick surmontée de fines tranches de boeuf rôti ; d'un délicieux parmentier ; et dans une crépine, une viande reconstituée en osso bucco dont l'os à moelle est figuré par une pomme de terre évidée en cylindre contenant un hachis de moelle et de champignons, superbe et original.
La N°2 : Déclinaison de boeuf et légumes traditionnels du Poitou, plus classique, a décliné le côté régional dans plusieurs cuissons et textures. Il y avait des carottes confites sucrées magnifiques.
La N° 3 : Rond de gîte aux fruits secs façon steak au poivre, jumeau fondant, macédoine croquante, millefeuille carottes/topinambours et raviole de champignons, avait un joli look et la viande rôtie ou mijotée était juste cuite comme il faut, une très bonne sauce au poivre et des petits dés de légumes croquants acidulés.
Au point de vue de la saveur c'est l'assiette N°4 que j'ai préférée : Paupiette de paleron en cocotte, sauce au vinaigre balsamique et gingembre, samossa de légumes. Goujonnettes de rond de gîte panées aux noix, noisettes et pistaches, sauce à la moelle et salade de mesclun aux betteraves. ragoût de basse côte au Pineau, petits légumes au Xérès. Ses cuissons étaient justes, les viandes fondantes et les sauces étaient délicieuses, malheureusement l'assiette était trop chargée et l'aspect général un peu fouillis.
La N°5 : Paleron au pain d'épices, Tajine de boeuf, Rond de gîte aux agrumes, était originale, avec des saveurs sucrées-salées d'agrumes et d'épices harmonieuses et bien émoustillantes.
Et la N° 6 : pressé de macreuse et paleron aux fruits secs, bonbon de pruneaux aux pineau des Charentes, a impressionné tout le monde par son dressage soigné et épuré. Sa sauce au pineau des Charentes était excellente et les cuissons : rien à dire.
Vous conviendrez que ce n'est pas si simple de trancher, car il faut malheureusement trancher ! L'embêtant c'est qu'il ne doit y avoir qu'un seul gagnant, et cela se joue à peu de choses.
Chaque membre du jury a une feuille de notation, on y met quatre notes pour chaque candidat. Deux pour le visuel (sur 25) : une note d'esthétique de l'assiette, une note de créativité, et deux pour la saveur (sur 40) : une note de justesse des cuissons et de mise en valeur de la viande, et une note d'harmonie du plat. Le tout additionné donne une note globale sur 65. On fera la moyenne de cette note avec la note technique, pour désigner le lauréat. Si l'on veut, on y inscrit aussi des appréciations qui seront transmises aux élèves. Il est important d'inscrire des choses positives, qui pourront les aider pour s'améliorer, et non pas des critiques stériles et imbéciles du genre de celles qu'on entend dans un dîner presque parfait.
Ils sont un peu fébriles en attendant le résultat, qui est annoncé en la présence des professeurs et de Madame Galand, proviseur du Lycée, qui dirige ce magnifique lycée d'une main de fer dans un gant de velours.
Et le gagnant est... pas besoin de cinéma, pas de couteaux gris ou orange à sortir du billot...
Une gagnante ! C'est Jeanne Fougeret du Lycée de la Rochelle, l'auteur de l'assiette N° 6. Ici elle pose avec David Noyau. Bravo, Jeanne, et bonne chance pour la suite !
Le 2ème est Thomas Gaborit du Lycée de La Rochelle (assiette N°3)
3ème : Rachel Berlaud du Lycée Kyoto de Poitiers (assiette N°1)
4ème : Thibault Limousin du Lycée St Joseph l’Amandier de St-Yrieix sur Charente (assiette 5)
5èmes ex-æquo : Jean-Charles Boisumault du Lycée St Joseph l’Amandier (assiette 4) et Bertrand Rat du Lycée Kyoto. (assiette 2)
Tous ces candidats avaient du talent, c'est dommage de devoir choisir, mais c'est le principe du concours : il n'y en a qu'un seul qui l'emporte. En tout cas, j'espère que les autres ne se désolent pas et qu'ils tirent de cette expérience de quoi progresser encore. C'est quand même magnifique, tout ce qu'ils ont réalisé en 4 heures seulement. Moi je suis ébahie par leur très bon niveau, à tous. On va parfois dans des restaurants où la cuisine est moins bonne !
Les lecteurs que cela intéresse peuvent suivre la suite du concours sur Facebook, c'est ICI (clic). Si vous cherchez bien, vous me trouverez sur deux des photos. Mais je suis bien cachée.
Et maintenant voici quelques photos d'ambiance.
Moment de détente en cuisine en attendant le verdict
Une fois que tout est propre et bien rangé.
Après l'effort, le réconfort
Le plat principal du déjeuner qui a suivi est traditionnellement constitué du plat gagnant du concours de l'année passée. C'était un boeuf en 3 cuissons, du cru à la longue cuisson douce. L'assiette est jolie et son contenu a été avalé avec plaisir.
Quand je vous disais que Cyril Lignac n'a qu'à bien se tenir, la relève est assurée !
Ce concours a eu lieu quelques jours avant la tempête qui a
fait de considérables ravages matériels et humains dans la région. Je
souhaite de tout cœur que les personnes que j'ai rencontrées n'aient pas
été trop durement touchées, et que ce splendide lycée hôtelier, situé
tout près de la mer, n'ait pas connu de dommages majeurs.
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