Pâques, ou le retour du bien manger…
Il me touche, ce tableau de Caspar David Friedrich: le matin de pâques. On y voit des personnages s’éloigner de nous sur un chemin. Nous, les spectateurs du tableau, nous sommes aussi sur cette route, mais encore dans l’ombre des branchages dénudés par l'hiver. Ces branches semblent s’écarter comme les grilles d’une porte qui s’ouvrent. Et passant cette grille nous regardons vers un ailleurs où le soleil apparaît dans la douceur d’un ciel rose et brumeux. C'est un appel. Un appel vers la lumière, un appel qui nous demande de sortir de notre torpeur, d'ouvrir les grilles qui nous enferment et de nous rendre là bas, sur le long chemin de la Vie.
Le matin de pâques, ou la quintessence du matin
C'est le début. Le premier matin du monde, qui recommence chaque année dans le cycle du temps. Le commencement du jour après le sommeil. C’est le printemps qui éveille la nature.
Le jour de la fête de Pâques est
calculé d’après le cycle de la lune et l’équinoxe de printemps, c’est
pourquoi elle n’a pas lieu chaque année à la même date. Elle symbolise
le renouveau de la végétation, la résurrection de la nature après
l’hiver. C'est pourquoi l’Église a placé la
résurrection du christ à ce moment de l’année, qui correspondait à des fêtes équinoxiales célébrées par les peuples à christianiser.
Le nom de Pâques nous vient de l’hébreu pasch'ah,
qui signifie « passage », il s’agit de la sortie d’Égypte des Hébreux.
Le tableau de Friedrich exprime aussi un passage, celui de l'ombre vers
la lumière.
Du fin fond de l'antiquité
En Anglais, cette fête se somme Easter, et en allemand Ostern. Ces noms viennent de celui de la déesse Eostre des Anglo-Saxons, appelée Ostara chez les Germains, une déesse de la fertilité fécondité, de la végétation et du printemps. Ils sont à rapprocher du point cardinal l’Est (east en anglais et ost en allemand). L’Est, c’est le lever du soleil, la résurrection du jour.
Les rituels de pâques tournent autour du feu nouveau et de l’eau purificatrice. Dans l’église, on éteint puis on rallume les lumières. Le cierge pascal béni servira à allumer toutes les autres lumières de l’année. Dans certaines provinces, on allume des feux au sommet des collines. Les cendres sont ensuite précieusement gardées toute l'année comme médicaments, et porte bonheur.
L’eau de pâques est une eau neuve car on a pris soin de vider les bénitiers pour la remplacer. Elle a des propriétés guérisseuses et régénérantes. Elle a suscité des rites d’aspersions des gens, des animaux, des maisons ou des champs pour conjurer le mauvais sort et favoriser la fécondité des femmes et du bétail. Des jeux traditionnels pratiquée à Pâques ont aussi l'eau pour thème : les garçons poursuivent les filles pour les asperger d'eau froide. Et parfois les filles se mettent à plusieurs pour attraper le garçon et le jeter dans la rivière.
Fécondité, c’est bien sûr le symbole de l’œuf. Dans toute l’Europe, depuis des temps immémoriaux, on offre le matin de Pâques — ou de l'équinoxe — des œufs aux enfants. Et ce n'est pas seulement pour écouler tous les œufs accumulés pendant le carême ! Quelle vile explication, pour des époques où la vie était extrêmement ritualisée, jusqu'à la nourriture, toujours hautement symbolique, et surtout en des fêtes si importantes.
À tel point qu'aujourd'hui si l'on pense à Pâques, on imagine tout de suite des œufs en chocolats, des poules, des lapins aux ventres chargés de petits œufs en sucre multicolores, ou bien enrobés de papiers brillants. Autrefois, c’étaient des vrais œufs que l’on offrait, colorés en les cuisant dans du jus de betterave, de l’eau de cuisson de pelures d’oignons ou de chou rouge pour faire successivement du rouge, du jaune et du bleu…
On faisait des batailles d’œufs: on toquait son œuf à celui du voisin. Celui dont l’œuf restait intact gagnait l’œuf de l'autre. C’était un signe de bonne fortune toute l'année.
Parfois c’est le lapin ou le lièvre de Pâques qui apporte les
friandises en les semant dans les jardins. Le lièvre est un symbole de
fécondité, et dans les pays du Nord il est « l’esprit du blé ».
Dans
d’autres endroits ce sont les cloches qui reviennent de leur voyage à
Rome, et qui éparpillent les douceurs partout où elles passent. Dans
les traditions orientales, la cloche est un symbole féminin.
Ces lapins ne font pas de bruit et ne
demandent pas beaucoup de nourriture. Je les ai peints en trompe l'œil
sur un mur de ma maison.
Après la chasse à l’œuf dans les champs et les jardins, on dresse sur une belle nappe un somptueux repas et l’on oublie toutes les privations du carême. Les meilleurs mets se côtoient, tout ce qui était interdit est désormais permis : le jambon, les pâtés, les poissons en gelée ou en sauce, l’agneau rôti et les gâteaux, galettes et brioches qui rivalisent de richesse en œufs, beurre et fromage frais… Tout doit être riche, nourrissant et abondant. C’est le temps de la générosité.
Lançons les invitations. Au menu : un superbe pâté traditionnel, et puis un gâteau.