Kugelhopf, ou Kouglof ?
On l'aime quelle que soit la façon dont on l'écrit. Après avoir mangé de l'orthographe, mangeons un peu d'histoire, je vous assure que vous n'allez pas grossir !
Ce gâteau a une place significative dans l'histoire de notre alimentation. Il nous arrive de la lointaine Pologne, passant par l'Autriche, l'Allemagne et bien sûr par l'Alsace. Sa particularité est d'être la plus ancienne pâtisserie que nous connaissions à la levure de bière, appelée aujourd'hui levure de boulangerie. C'est en effet dans les pays slaves et germaniques qu'on eut l'idée pour la première fois d'utiliser la levure qui servait à la fermentation de la bière pour faire fermenter la pâte à pain, puis les brioches et autres "viennoiseries".
D'où vient la forme du Kouglof ?
D'ailleurs, en parlant des viennoiseries. La légende raconte que les croissants auraient été inventés lors de la bataille de Vienne en 1683, contre les Turcs qui assiégeaient la ville. Elle raconte que les boulangers, travaillant la nuit dans les sous sols, entendirent le bruit des sapeurs turcs qui cherchaient à détruire les murailles de la ville. Ils donnèrent l'alerte, s'ensuivit une bataille et la défaite des turcs. Pour commémorer cette victoire, les boulangers inventèrent un gâteau en forme de l'emblème turc : le croissant.
Quel rapport avec le Kouglof, qui, je l'ai dit, est d'origine polonaise ? J'y viens : l'armée victorieuse, composée de soldats autrichiens, allemands et polonais, était commandée par le roi de Pologne. Et ce furent l'infanterie puis les cavaliers polonais qui sauvèrent Vienne.
Kara Mustapha, le chef de l'armée turque lors de la bataille de Vienne. A-t-il un kouglof sur la tête ?
Et il se trouve que la forme typique du kouglof est inspirée par la coiffe des soldats turcs: une sorte de turban.
Et comment a-t-il fait le voyage jusque chez nous ?
Lorsque Louis XV épousa Marie Leckzinska, la jeune mariée arriva à Versailles avec toute une brigade de cuisiniers et pâtissiers de son pays, qui apportèrent avec eux la manière de faire le pain et les gâteaux à la levure de bière. L'un de ces pâtissiers est le fameux Stohrer, dont la pâtisserie existe encore aujourd'hui à Paris, rue Montorgueil. (Si vous passez par là, ne manquez pas d'aller goûter ses délicieux puits d'Amour et ses divines tartelettes aux framboises). C'est donc Stohrer qui fit déguster le premier Kouglof aux parisiens.
Portrait de Marie Leckzinska. Je trouve qu'elle a un visage très doux, cette reine.
En France, et dans tous les pays de l'ouest et du sud de l'Europe, on faisait avant le XVIII° siècle le pain uniquement au levain naturel. Ce levain est constitué de bactéries, contrairement à la levure qui est un champignon. C'était un morceau de pâte qu'on laissait fermenter tout naturellement grâce aux bactéries contenues dans la farine, l'eau et l'air. Du côté des brioches, on préparait des fouaces, des gâches, des pognes, des fougasses, des tourtes, mais tout cela, ensemencé au levain, présentait une pâte plus dense, au goût légèrement acide, et une mie bien moins aérée, mais qui avait l'avantage de se conserver très longtemps.
Le kouglof est donc l'ancêtre de nos brioches actuelles.
Le passage du levain à la levure ne s'est pas fait tout seul: il est difficile de changer les mentalités. A l'époque, on accusa la nouvelle manière de faire le pain de tous les maux, les peurs alimentaires ne datent pas d'aujourd'hui , comme en témoigne l'excellent livre de Madeleine Ferrières, Histoire des peurs alimentaires, dans lequel tout un chapitre est consacré au pain.
D'après la légende, le Kouglof a donné aussi naissance à notre baba au rhum, puisqu'on dit que Stanislas Leckzinski (qui était le père de la reine de France) dégustait son Kouglof trempé d'un sirop de vin de malaga, à cause de sa mauvaise dentition. C'est le même pâtissier Stohrer qui mit au point la recette que nous connaissons actuellement: le baba imbibé de sirop, au centre garni de crème pâtissière et de fruits. A l'époque il était encore proche du gâteau traditionnel polonais, parfumé de safran, épice précieuse entre toutes.
Et si nous le goûtions ? Vous en prendrez bien une part pour le petit déjeuner ?
Ce n’est pas difficile. Vous avez une demi journée ? Pas de panique, vous ferez autre chose pendant les temps morts. On ne va pas les laisser mourir, ces temps, c'est de la vie gagnée. Alors allumez le four.
Pour 2 petits kouglofs, ou un seul, mais un gros :
500 grammes de farine
20 grammes de levure fraîche de boulanger
15 centilitres de lait
10 grammes de sel
100 grammes de sucre
150 grammes d’œufs (soit 3 œufs moyens)
175 grammes de beurre à température ambiante
150 grammes de raisins secs, ou plus si on aime
Du rhum
Des amandes entières, ou effilées
20 à 30 g de beurre pour les moules
Les raisins
Avant de commencer le Kouglof, il faut avoir pris soin de faire tremper les raisins dans du rhum.
Je
vais vous dire mon secret : j’ai en permanence un bocal rempli de
raisins et de rhum. Le bocal magique qui ne se vide jamais. On voit ça
dans les contes de fée. Moi j'ai le même.
Je remplace les raisins
et le rhum au fur et à mesure des prélèvements. Il n'est pas nécessaire
que les fruits baignent complètement, un fond de 2 ou 3 centimètres de rhum est
amplement suffisant : il va remonter par capillarité. Magique, je vous
dis! Après quelques semaines, cela commence à être très bon. Alors
après quelques mois... Je ne vous dis pas. On peut les utiliser dans
des cakes, pour parfumer une glace, une mousse au chocolat… Ils se
conservent indéfiniment, alors on ne s'en prive sous aucun prétexte !
Le levain
Attention, il s'agit d'un "levain-levure", pas d'un levain naturel. c'est une pâte que l'on fait fermenter à l'avance pour que les levures puissent se multiplier.
Je commence le levain en fin de matinée.
Je verse la farine dans
la cuve de mon robot et je fais un creux au centre. J’y émiette la
levure, que je dilue avec la moitié du lait et un peu de farine, avec
une cuillère. J’obtiens une pâte molle, je la recouvre de farine pour
qu’elle soit bien à l’abri dans un nid douillet. Ensuite je la laisse
tranquille et je vais faire autre chose. On trouve toujours une
occupation, en fin de matinée, pas vrai ?
Une à deux heures après, la farine s’est fendillée sous la poussée de la pâte. Le temps dépend de tellement de circonstances que je donne une fourchette très imprécise : vous allez voir, et quand vous constatez que la farine s’est bien craquelée, comme si la pâte dessous vous criait " au secours, j'étouffe, laissez-moi sortir " , c’est prêt.
La pâte finale
J’ajoute le sel, le sucre, le reste de lait et les œufs. Je pétris tout ça (enfin, j’exagère, c’est mon Kenwood qui pétrit, en réalité) jusqu’à ce que la pâte se décolle des bords de la cuve. Si vous le faites à la main, ce ne sera pas plus long. Vous travaillez la pâte vigoureusement, en l’étirant et la repliant sur elle-même jusqu’à ce qu’elle ne colle plus au plan de travail.
Ensuite, et seulement ensuite, je pétris le beurre dans mes blanches
mains pour le ramollir jusqu’à ce qu’il soit homogène. J’adore pétrir
le beurre à la main. C’est doux, onctueux, une agréable sensation de
fraîcheur soyeuse. Ensuite on a les mains toutes douces, même après les
avoir lavées. (On les lave aussi avant, hein !)
J’ajoute ce beurre
dans la pâte pendant que la machine tourne, par petits morceaux.
Lorsque tout est incorporé, je laisse tourner jusqu’à ce que la pâte se
décolle complètement de la cuve et se rassemble autour du crochet. Je
ne peux pas le minuter. C’est un signe qui ne peut pas vous échapper.
Le pointage, ou première levée
J’enlève le crochet, évidemment, et je couvre la cuve d’un torchon propre. (Je me demande d’ailleurs si quelqu’un peut avoir l’idée de mettre un torchon sale. Bref).
J'ai quelques heures tranquilles: je mange, je vais promener le chien, j'écris des articles, je vais voir des blogs, je réponds à des messages, je réfléchis à mon prochain livre…
Le temps passe, on arrive maintenant en plein milieu de l’après
midi. La pâte a triplé de volume. Parfois ça va vite, parfois c’est
plus long. N’écoutez pas les recettes qui vous donnent un temps précis
de repos. Ils ont tort de chronométrer comme ça une chose vivante et
qui a tendance à n’en faire qu’à sa tête. Parce que ce n’est pas pareil
en hiver ou en été, le matin ou le soir, si le chauffage est mis ou
pas, s’il fait beau, humide, orageux… La pâte levée a sa vie et ses
rythmes qu’il faut respecter, et si vous le faites, elle vous
récompensera.
C’est pour ça qu’ils me font bien rire, avec leurs
machines à pain chronométrées à la minute… Oui, protestez si vous voulez, les adeptes de MAP.
Vous avez parfaitement le droit de protester. Moi je ris, c’est tout.
Je dis juste que j’aime ma pâte, et elle le sait.
Le façonnage
Bon, assez bavardé, il est temps de façonner les kouglofs.
Je
prépare mes moules en terre. Il faut impérativement un moule en terre
pour le kouglof. Pourquoi est ce si important ? Parce que c'est le
moule qui va donner au kouglof son goût particulier, qui est différent
de celui de la brioche.
Il faut prendre soin des moules en terre. Il ne faut jamais les laver : juste les rincer à l'eau chaude tout de suite après usage. Ne surtout pas les mettre au lave vaisselle, et pas de Gloup citron ou de Ploc vaisselle au vinaigre de laitue : sinon les kouglofs auront le goût du liquide vaisselle, ce qui est en général peu apprécié.
Je beurre les moules, avec un pinceau. Et je les saupoudre avec des
amandes effilées. Parfois, à la place des amandes effilées, je mets une
amande entière dans le fond de chaque côte du moule. Les miens ont 17
et 18 côtes. Et les vôtres ?
Je renverse ma pâte sur le plan de travail. Je l’étale en rectangle du plat de la main. Je répartis dessus les raisins égouttés. Je coupe ma pâte en deux si je veux faire deux kouglofs.
J’en fais deux rouleaux, en enfermant les raisins à l’intérieur. Je ferme mes rouleaux en couronne et hop, je les place dans les moules autour de la douille centrale.
L'apprêt, ou seconde levée
À nouveaux, ils vont travailler seuls sous leur torchon, pendant que moi je vaque à mes occupations. Là, au coin du feu. J’ai allumé le feu exprès pour eux, ils ont de la chance, pas vrai ?
Trois heure plus tard, la pâte arrive au bord des moules. Encore une fois, cela peut être plus lent ou plus rapide : ne vous inquiétez pas si c’est différent chez vous.
La cuisson
Il est dix-neuf heures. J’allume le four à 200°C. La cuisson va durer 45 minutes, pour deux kouglofs.
Si vous en faites un seul gros avec cette quantité de pâte, cuisez à 180°C, plus longtemps : au moins une heure.
Je
précise que la cuisson dans les moules en terre est plus longue que
celle dans les moules en métal, la terre ayant une inertie thermique
importante.
Comment on sait que c’est cuit ? Quand la surface est bien brune, tapotez-la : si cela sonne creux, c’est cuit.
J’attends 5 minutes à la sortie du four, la pâte va se rétracter et ils se démouleront sans problème.
Ça sent bon.
Vivement le petit déjeuner !
Nous le dégusterons en pensant à la reine de France, au jeune pâtissier émigré, et au vieux roi déchu dans son palais de lorraine, qui aimait tant les gâteaux. Et cette part de kouglof nous nourrira bien plus avec sa mémoire qu'avec ses calories.